Pouvoir se concentrer sur les tâches à accomplir, fournir des soins de qualité, avoir une reconnaissance professionnelle et personnelle du travail accompli… Tous ces aspects contribuent à améliorer la qualité de vie des soignants au travail, à diminuer le stress et le risque de burn-out et à minimiser les situations à risque d’erreur médicale. Or, dans leur exercice, les soignants doivent faire face à une multitude de situations imprévues qui provoquent des interruptions.
La Haute Autorité de santé (HAS) définit l’interruption de tâche comme l’arrêt inopiné, provisoire ou définitif, d’une activité humaine (3). La cause peut être propre à l’opérateur ou, au contraire, externe à lui. Cette action induit une rupture dans le déroulement de l’activité et dans la concentration de l’opérateur, ainsi qu'une altération de la performance de l’acte. Cette notion a d’abord été développée dans le milieu aéronautique dans les années 1970 et il a fallu attendre le début des années 2000 pour qu’elle soit qualifiée dans les soins. Une étude menée en 2010 (4) montre que les infirmières sont interrompues en moyenne 6,7 fois par heure, et que 53 % des administrations de médicaments subissent des coupures dans la réalisation du soin.
Plus de la moitié des interruptions évitables
Qu’en est-il dans les hôpitaux français actuellement ? Une étude mise en place en 2023 en Pays de la Loire (1) sur 23 équipes travaillant dans des spécialités médicales ou chirurgicales (hors réanimation) a permis de recueillir des informations sur 286 professionnels interrompus un total de 1 929 fois. La majorité des ruptures de continuité étaient en lien avec une demande en face à face (58,7 %) et leur durée était généralement brève (moins de 30 secondes, 72,5 %). Au total, 57,4 % des interruptions étaient évitables. Le nombre moyen d'interruptions était de 10,5 (écart type = 3,2) par heure et par professionnel.
Si cette étude n’avait pas pour finalité d’examiner l’impact des interruptions sur les soins, il est possible de prendre en compte une étude australienne de 2010 qui a montré que les infirmières interrompues étaient 12,7 % plus susceptibles de commettre des erreurs d'administration de médicaments. En 2018, un autre travail a révélé que les médecins urgentistes interrompus étaient 2,82 fois plus susceptibles de commettre une erreur de prescription (RR 2,82 ; IC à 95 % 1,23 à 6,49).
Chez les médecins urgentistes, on compterait en moyenne 16 interruptions courtes par heure
C’est justement aux médecins urgentistes que le Dr Claire Marie Bussone a consacré sa thèse en 2024 (2). Elle explique qu’en 2012 une association entre les interruptions de tâche et la charge mentale de travail chez les médecins urgentistes a été mise en évidence. Le Dr Bussone souligne cependant que les suspensions de tâche – parfois inévitables – peuvent être bénéfiques dans certaines situations (place trouvée par la gestionnaire de lits, avis spécialisé, résultats d’examens…).
L’étude, menée sur 40 heures d’observation de médecins urgentistes, conclut que la durée totale des interruptions était de 9 heures et 41 minutes avec, au total, 627 événements. Les médecins étaient interrompus en moyenne 16 fois par heure (maximum 55 fois) pour une durée moyenne de 56 secondes par interruption. Ces suspensions se répartissaient principalement entre celles liées directement aux soins aux patients pris en charge (40 %), celles intercollègues (22 %) et celles liées à un patient non pris en charge par le médecin observé (13 %). Si la gestion des dossiers médicaux était prenante (34 % des interruptions), tout comme la communication (31 %), le Dr Bussone note aussi les déplacements (incluant les trajets entre les patients ou la recherche de matériel ou d'informations), qui représentaient 10 % des pauses.
Éviter la pression mentale liée aux discontinuations
Parmi les pistes pour éviter la pression mentale liée aux discontinuations, c’est avant tout l’apprentissage du respect des tâches en cours qui est mis en avant puisque, globalement, les études estiment que la moitié des interruptions pourraient être évitées ou reportées à des moments spécifiques. L’idée de former au « multitâche » (réaliser simultanément plusieurs activités) est aussi évoquée. Enfin, les différents auteurs insistent sur la variabilité interindividuelle face aux interruptions, liée à la capacité de mémoire de travail (working memory capacity). Cette capacité cognitive permet de mobiliser plus facilement les informations stockées temporairement. Plus cette capacité est développée chez un médecin, plus celui-ci pourra s’adapter aux interruptions de tâches et être moins affecté par celles-ci. Travailler individuellement sur la capacité de mémoire au travail est aussi une piste à développer.
(1) Teigné D, Cazet L, Birgand G, Moret L, Maupetit JC, Mabileau G, et al. Improving care safety by characterizing task interruptions during interactions between healthcare professionals: an observational study. International Journal for Quality in Health Care. 2023;35(3)
(2) Bussone CM. Impact des interruptions de tâches sur le temps de travail du médecin urgentiste. Thèse 2024.
(3) Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments. Disponible sur : www.has-sante.fr
(4) Westbrook JI, Woods A, Rob MI, Dunsmuir WTM, Day RO. Association of interruptions with an increased risk and severity of medication administration errors. Arch Intern Med. 2010;170(8)
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