Frapper fort et dépasser les clivages politiques : l’artisan de cette union sacrée n’est autre que le député socialiste Guillaume Garot, avocat de longue date de mesures de régulation de la liberté d’installation, mais qui a décidé de changer de braquet dans son combat.
Entouré d’une quinzaine de parlementaires, l’opiniâtre élu de la Mayenne a présenté ce mercredi à la presse une nouvelle proposition de loi (PPL) « transpartisane » de lutte contre les déserts médicaux, concoctée par une centaine de députés issus de neuf groupes parlementaires (des Républicains à La France insoumise, mais sans le Rassemblement national). Déposé initialement en 2023 mais non examiné en raison de la dissolution, ce texte a été « enrichi » de nouvelles mesures « plus ciblées » et « plus efficaces » pour donner « un coup d’arrêt » aux inégalités d’accès aux soins qui s’aggravent.
Preuve de sa force de frappe, cette proposition de loi a déjà été signée par 237 députés de tous bords. Sa mesure phare – le conventionnement sélectif – propose de n'autoriser un médecin à s'installer dans une zone où l'offre de soins est jugée suffisante que lorsqu'un praticien de même spécialité y cesse son activité.
Selon Guillaume Garot, il n’est plus temps de tergiverser : sept millions de Français n’ont toujours pas de médecin traitant, soit 11 % de la population. Depuis 2010, la densité médicale a diminué dans 61 départements. « Dans la Creuse, le nombre de médecins a baissé de 31 % alors qu’il augmente de 16 % dans les Hautes-Alpes… L’enjeu, c’est notre pacte républicain. L’accès à la santé ne doit pas dépendre de notre code postal », a lancé avec gravité Guillaume Garot.
“L’accès à la santé ne doit pas dépendre de notre code postal
Guillaume Garot, député socialiste de Mayenne
Déposée « dès la semaine prochaine » à l’Assemblée nationale, la proposition de loi de 16 articles est structurée autour d'une mesure forte : la régulation de l'installation en médecine libérale. « C’est le ciment, l’ADN de ce texte si nous voulons être efficaces contre la désertification médicale », plaide Guillaume Garot, qui défend un levier « qui, ailleurs, a montré son efficacité ».
Aux mains des ARS
En pratique, l’idée consiste à « flécher » au maximum l’installation des médecins généralistes comme spécialistes dans des zones sous-dotées. Le texte suggère ainsi de créer « une autorisation d’installation » accordée par l’agence régionale de santé (ARS) selon les territoires. Ce feu vert serait acquis « de plein droit » dans les seules zones déficitaires. En revanche, dans les lieux où l’offre de soins est « au moins suffisante », l’installation ne serait autorisée que si elle fait suite à la cessation d’activité d’un praticien de la même spécialité. « Il ne s’agit pas de supprimer la liberté d’installation mais simplement de l’encadrer et de l’aménager pour répondre à des questions d’intérêt général », assume le député.
Outre cette mesure contraignante contestée par la profession, la PPL serre la vis du côté des jeunes médecins. Elle propose ainsi de limiter la durée de remplacement à quatre ans pour mieux inciter les médecins à exercer de façon durable.
Ce n’est pas tout : afin de soulager les urgences, le texte prévoit de rétablir l’obligation individuelle de permanence des soins (PDS), plus de vingt ans après le principe du volontariat acquis de haute lutte. « Il y a seulement 39 % de médecins volontaires avec une participation très inégale selon les territoires, avance Xavier Breton, député (LR) de l’Ain et vice-président de l’Assemblée nationale. On voudrait donc modifier le Code de santé publique, qui prévoit une responsabilité collective des médecins à la PDS. »
Une année de prépa dans chaque département
« À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles », assument encore ces députés qui veulent par ailleurs mettre le paquet sur la formation des futurs médecins. Le texte vise ainsi à favoriser l'entrée dans les études de médecine pour les jeunes les plus éloignés des métropoles. L’idée serait de créer à titre expérimental dans dix départements « une année préparatoire aux études de médecine ». « Cette prépa va permettre aux lycéens de consolider leurs connaissances et de se préparer à la première année. C’est un enjeu de démocratisation de l’accès aux études de santé », plaide Chantal Jourdan, députée socialiste de l’Orne.
Et pour renforcer l’égalité des chances, les parlementaires souhaitent à terme que chaque département puisse proposer aux étudiants l’enseignement de la première année de médecine. « Cela se fait déjà de façon expérimentale à Rennes, qui propose de suivre la formation dans l’antenne universitaire de Saint-Brieuc », défend Christophe Marion (Loir-et-Cher, Ensemble pour la République). L’élu fait valoir au passage que la création d’un CHU en Corse a été adoptée en commission des Affaires sociales…
Les signataires veulent aussi doper le nombre de contrats d’engagement de service public (CESP) offerts dès la deuxième année du premier cycle. « On voudrait fixer un seuil minimal de 25 % d’étudiants au sein d’un même établissement. On passerait d’une situation de 600 étudiants concernés à 2 000 voire 3 000 », illustre Delphine Batho, députée écologiste des Deux-Sèvres.
Les Padhue dans les déserts, le secteur 2 aux oubliettes
La proposition de loi entend faciliter l’exercice dans les zones fragiles des médecins à diplôme hors UE (Padhue), « qui œuvrent quotidiennement dans les établissements de santé les plus isolés du territoire sans compter leurs heures ». L’ARS pourrait ainsi décider par voie réglementaire d’autoriser leur exercice de plein droit en zones sous-denses. Pour les Padhue déjà en France, « des épreuves spécifiques » permettant de régulariser rapidement leur situation sont envisagées.
L’accès financier aux soins n’est pas oublié : la PPL envisage de supprimer « de façon progressive » le secteur 2 (hors contrats Optam de modération tarifaire) pour enrayer les dépassements d’honoraires, « une pratique qui s’est renforcée chez les médecins nouvellement installés ».
Pour l’heure, les députés du groupe transpartisan souhaitent engager un « débat non idéologique » sur ce texte à compter du premier trimestre 2025. Dans une Assemblée nationale recomposée et morcelée, ils veulent croire que ce texte trouvera une voie de passage.
Geneviève Darrieussecq évoque la régulation des dentistes
Faut-il empêcher les médecins libéraux de s’installer dans les territoires déjà bien dotés ? Interrogée ce matin sur France Info, la ministre de la Santé n’a pas caché son embarras. Si elle rappelle que son gouvernement est pour l’instant « dans l’incitation à l’installation », elle juge intéressants les projets qui souhaitent créer « un projet de service national sanitaire obligatoire ». Refusant de parler de coercition, l’allergologue évoque toutefois la régulation proposée par l’Ordre des dentistes. C’est « un système où on ne peut pas s’installer dans les territoires bien dotés, à moins de remplacer quelqu’un qui part à la retraite », déclare la ministre. « Il peut y avoir différentes façons d’organiser les choses. Cela en fait peut-être une à laquelle l’Ordre des médecins pourrait réfléchir », ajoute-t-elle. Un coin dans la liberté d’installation ?
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