Après l'échec de février – qui a donné lieu à un règlement arbitral jugé humiliant – les négociations entre l'Assurance-maladie et les médecins libéraux reprennent enfin ce mercredi 15 novembre, au siège de la Cnam. Cette première séance multilatérale, en fin d'après-midi, réunira les six syndicats représentatifs (CSMF, Avenir Spé-Le Bloc, MG France, FMF, SML, UFML-S).
Le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, veut croire à une nouvelle séquence plus favorable mais fixe ses priorités et ses lignes rouges. « Nous tenons à assurer l'équilibre entre généralistes et spécialistes », insiste-t-il.
LE QUOTIDIEN : À quelques heures de la reprise des négociations conventionnelles, quel est l'état d'esprit de vos troupes ?
Dr FRANCK DEVULDER : Nous sommes volontaristes et responsables ! Ces négociations reprennent après l'échec cuisant, en février, de la précédente discussion, un règlement arbitral humiliant et la mobilisation de la profession. Depuis, je constate qu'il y a eu des signaux positifs. La lettre de cadrage du ministre de la Santé nous va bien. Les réunions bilatérales avec l'Assurance-maladie se sont déroulées dans une ambiance plus apaisée. Nous devons cette fois aboutir à un accord.
À ce stade, ma seule inquiétude concerne les moyens financiers. Seront-ils à la hauteur des ambitions affichées par la lettre de cadrage ? Si on met en place une dynamique forte orientée vers l'attractivité et l'accès aux soins, avec un déroulé précis des étapes, en tenant compte à la fois de l'inflation et de l'Ondam évolutif, je pense qu'on aura emprunté un bon chemin !
La Cnam a promis un changement de méthode comme le fait de ne plus envoyer aux syndicats des slides illisibles et des tableaux Excel préremplis la veille pour le lendemain… A-t-elle tenu sa promesse ?
Oui. Au lieu de nous projeter les documents en séance, la Cnam nous a déjà envoyé hier un diaporama avec les orientations, la méthode de travail et un calendrier (lire encadré au bas de l'article).
La question de l'attractivité de la médecine libérale est au cœur de cette négociation et cela nous va bien. Plusieurs nouveautés dans la méthode sont à saluer. La Cnam propose des séances bilatérales pour les syndicats qui le souhaitent ou des focus sur la pédiatrie ou la psychiatrie par exemple. Cela va dans le bon sens car les problématiques sont très différentes selon les spécialités.
Dans un contexte budgétaire contraint, comment la CSMF, centrale polycatégorielle, va-t-elle défendre l'équilibre des revalorisations entre médecine générale et spécialisée ?
La CSMF ne fait pas de favoritisme entre la médecine générale et la médecine spécialisée car les deux sont liées et doivent avancer de concert. Dans les déserts médicaux, l'une des causes du refus d'installation des jeunes est précisément l'absence des médecins de second recours.
Dans cette négociation, la revendication de la consultation de base à 30 euros est devenue un totem. Mais nous tenons à assurer l'équilibre entre généralistes et spécialistes. C'est pourquoi nous demandons à mieux valoriser à la fois l'exercice clinique qui concerne les généralistes, les pédiatres, les rhumatologues, les gynécologues ou les psychiatres mais aussi plusieurs spécialités techniques dont certains actes n'ont pas été valorisés depuis plus de 30 ans ! Je sais que le contexte budgétaire est contraint. On devra arbitrer. Mais l'importance est que la médecine libérale devienne attractive pour inciter les jeunes confrères à s'installer.
En contrepartie des revalorisations, le ministre appelle les médecins à faire des efforts sur la pertinence des soins. Quelles sont vos propositions, vos lignes rouges ?
Les médecins libéraux sont prêts à prendre leurs responsabilités en matière de prescriptions de médicaments, d'arrêts de travail, de transports sanitaires… Mais nous refuserons toute maîtrise comptable. Oui, il y a des progrès à faire mais de façon intelligente, coordonnée et fondée sur des recommandations professionnelles scientifiques.
Prenons les arrêts de travail : la HAS a publié il y a plusieurs années des durées recommandées d'arrêt dans un certain nombre de pathologies. La CSMF propose aux médecins de prescrire dans les délais impartis. Et s'ils devaient aller au-delà, ils pourraient cocher des cases pour indiquer les motifs de prolongation. Il faudra aussi sensibiliser les patients avec une campagne de communication pour faire comprendre que leur médecin fixe leur arrêt selon des critères scientifiques. Cette bonne information du patient faciliterait le travail du médecin ! C'est beaucoup plus vertueux que de pointer du doigt les confrères dans les commissions de pénalités comme ce qui se fait actuellement.
Dans le cadre du PLFSS, les sénateurs de droite veulent passer par la loi pour imposer aux partenaires conventionnels de fixer une modulation de la rémunération des médecins en fonction du degré de l'utilisation du DMP ou de leur participation à la maîtrise des dépenses. Est-ce un casus belli ?
Oui. C'est de la maîtrise comptable pure et dure ! Il s'agit d'un message de défiance vis-à-vis de la profession. Il reflète la volonté affichée de certains parlementaires de prendre la main sur le contenu même des conventions… En tout cas, la profession est collectivement avertie. Si, au final, nous avons enfin les moyens nécessaires mais que la situation de l'accès aux soins continue à se dégrader, le Parlement finira par donner raison aux élus qui veulent imposer la coercition ou la régulation à l'installation. Ce sera la fin de la médecine libérale.
La Cnam voudrait boucler un accord fin janvier
La Cnam a présenté aux syndicats une proposition de calendrier resserré sur deux mois. Mais la séquence s'annonce très intense puisque pas moins de 16 réunions sont prévues à ce stade. Outre la séance de ce mercredi 15 novembre, deux multilatérales en présentiel auront lieu le 21 décembre et le 25 janvier, dernière date annoncée par la Cnam. Présence requise dans les locaux pour quatre représentants « maximum » par syndicat (et un seul côté observateur, comme les jeunes). La Cnam insiste sur une forme de continuité des participants aux réunions multilatérales et bilatérales.
Entre ces trois grands rendez-vous de synthèse, 13 réunions intermédiaires sont programmées. La visio sera tolérée pour les bilatérales et focus thématiques. Des focus par spécialité concerneront ainsi les généralistes, pédiatres, psychiatres, spécialités médico-techniques, les autres spécialités cliniques et les spécialités de bloc. D’autres focus sont centrés sur la pratique : pertinence et qualité des soins, travail en équipe et conditions d’exercice. Une réunion abordera spécifiquement le forfait prévention.
Côté méthode, la Cnam met en avant sa volonté de transparence. Elle s’engage à partager en amont les ordres du jour et supports de travail (consultables y compris sur le site ameli.fr) et à mettre en ligne des données statistiques pour permettre aux participants d’approfondir les sujets négociés.
Les syndicats sont priés de leur côté d’adresser leurs contributions et propositions en amont de chaque réunion « pour analyse et intégration aux travaux ». Dernier point : le respect de la confidentialité des échanges pendant les séances sera de rigueur. Chat échaudé craint l’eau froide…
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