L’Organisation mondiale de la santé a fixé à 35 dB le niveau de bruit diurne permettant le meilleur soin hospitalier. Mais cette donnée est rarement respectée, en particulier dans les services de soins continus tels que la réanimation ou les urgences. Or le ressenti des niveaux de bruit augmente de manière exponentielle, de sorte que pour chaque augmentation de 10 décibels, le son est perçu comme étant deux fois plus fort. Dans les services de réanimation ou d’urgences, les nuisances sonores impactent la pratique quotidienne, telle que l’auscultation, la réalisation de gestes techniques (intubation par exemple), les interactions en équipe, les performances diagnostiques et thérapeutiques… Les soignants ne sont pas les seuls concernés, bien sûr, puisque les patients se plaignent de stress ou d’altération de la communication.
Dans la salle d’attente, le bruit atteint parfois près de 100 dB
Corey Adams et coll. (Sydney, Australie) (1) ont eu l’idée d’équiper pendant 24 heures le service des urgences d’un des hôpitaux de leur ville (145 passages par jour dont 34 % arrivées en ambulance) de sonomètres, répartis dans six zones d’attente ou de travail. Résultat : le niveau de bruit moyen aux urgences sur cette période s’établissait à 56,53 dB. Les niveaux les plus élevés concernaient les zones de traitement des urgences, avec une moyenne pour les deux zones analysées de 59,40 dB et 60,01 dB. Un degré de bruit similaire a été enregistré en salle d'attente (59,96 dB). Les zones d'hébergement de nuit s’avèrent relativement plus silencieuses (de 51,04 dB à 51,92 dB).
Les auteurs ont aussi analysé les niveaux de bruit de pointe : c’est dans le sas des ambulances que les chiffres étaient les plus élevés (102,81 dB correspondant à une sirène) ainsi que dans la salle d’attente (99,68 dB du fait des conversations, en particulier au téléphone). Dans les zones de soins, les chiffres étaient un peu moins élevés (72,21 dB et 71,64 dB). Dans l'ensemble, les résultats ont montré que les niveaux de bruit moyens étaient relativement plus faibles entre minuit et 6 heures du matin. Ils étaient plus élevés l'après-midi et en début de soirée (entre 14 heures et 19 heures) sur la plupart des sites analysés. Dans la salle d'attente des urgences, les niveaux sonores ont connu un pic entre 19 heures et 21 heures. En moyenne, soignants et patients ont passé près de 50 % du nycthémère dans un environnement à plus de 60 dB.
Un personnel en souffrance
En France, une thèse a été menée sur le même sujet avec une méthodologie différente (2). Le Dr Cyrielle Naval a proposé des questionnaires aux soignants ou administratifs des urgences de Marmande et Bergerac sur la gêne en lien avec le bruit dans leur exercice quotidien. Sur les 67 personnes interrogées, 50,8 % ont signalé un impact du bruit sur leur travail. Invitées à détailler les conséquences de leur environnement bruyant, elles parlent de nervosité, de céphalées, de baisse des performances, de troubles du sommeil, d’acouphènes, de parasitage de la qualité relationnelle, de majoration du risque d’erreur, de sensibilité en fin de journée, d’interruptions de tâches, d’impression de danger pour les patients et d’effet rétroactif (besoin de temps de repos pour se remettre du bruit). Quels bruits sont les plus gênants ? Les sonneries de téléphone avant tout, les appareils de surveillance ou seringues électriques, les sirènes de départ de Smur, et surtout les conversations entre personnes ou au téléphone (en particulier lorsque les patients utilisent la fonction appel visio).
Deux études publiées en 2024 (3, 4) montrent que l’impact du bruit se fait particulièrement sentir sur certaines catégories de patients, entraînant un cercle vicieux. Ainsi, les patients autistes ou déments peuvent être particulièrement gênés par l’ambiance sonore et réagir par une agitation ou des cris qui majorent encore le bruit de fond.
Des solutions existent
Quelles solutions proposer (5) ? Avant tout que les nouveaux services d’urgences prennent en compte la contrainte acoustique dès la conception des plans initiaux, avec la création d’espaces tampons entre zones de soins et zones d’attente de résultats d’examens. Séparer le secteur des soins ambulatoires de celui des soins requérant une prise en charge longue est aussi une approche intéressante. L’utilisation de matériaux permettant d’assourdir le bruit est une possibilité à proposer dans les services déjà en fonctionnement. Un travail sur la téléphonie est à mettre en place (avec des choix de sonneries adaptées). Dédier des lieux « plus silencieux » aux tâches nécessitant du calme (calcul de doses de médicaments, analyse de dossiers, discussions avec les familles) est aussi possible. Enfin, une communication à l’attention des patients est indispensable : diminuer le nombre des accompagnants, inciter à limiter l’utilisation du téléphone (pas de visio, pas de visualisation de contenus des réseaux sociaux sans écouteurs), éviter les interactions à haut niveau sonore…
(1) Adams C, Walsan R, McDonnell R et coll., As loud as a construction site: Noise levels in the emergency department, Australasian Emergency Care, Volume 27, Issue 1, March 2024, Pages 26-29
(2) Naval C., Évaluation de la gêne du personnel des urgences de Bergerac et de Marmande vis-à-vis de l’environnement sonore de leur lieu de travail, thèse 2021, Bordeaux
(3) Chary AN, et coll., Experiences of the emergency department environment: a qualitative study with caregivers of people with dementia, Intern Emerg Med, 2024 Nov 7
(4) Lombardi E et coll., Improving Emergency Medical Services (EMS) Care for People With Autism in the Prehospital Setting Through Sensory and Communication Aids, Cureus, 2024 Nov 28;16(11):e74702
(5) Hendriks S, et coll., Reduced noise in the emergency department: the impact on staff well-being and room acoustics, Emerg Med J., 2024 Aug 21;41(9):538-542
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