Depuis 2005, il est possible pour les médecins libéraux de s’associer via un contrat de collaboration libérale. C’est d’abord la forme d’installation libérale la plus dissymétrique et précairequi existe. C’est ensuite la forme d’association recourant quasi systématiquement au contrat-type diffusé par Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom). Or, ce modèle de contrat n’est pas à jour de la législation sur de très nombreux points et comporte plusieurs failles ouvrant au collaborateur insatisfait la possibilité de tenter de le faire requalifier en salariat déguisé. Il peut même le faire aisément en saisissant l’Urssaf ou les « Prud’hommes » (Pôle social du tribunal judiciaire), avec toutes les conséquences financières désastreuses qui s’ensuivent pour le titulaire. Que ce dernier soit une personne physique ou, plus souvent, une personne morale de type société d’exercice libéral.
Le contexte juridique
La loi définissant le statut du médecin collaborateur libéral pose le principe juridique d’une rémunération de nature libérale du collaborateur, car ce médecin collaborateur est un installé expressément libéral. Un peu comme si cela allait de soi. Mais en droit, le caractère libéral d’un statut ne se présume pas. Et ce qui n’est qu’un principe, certes visiblement affiché, n’est pas pour autant une certitude établie ! Si, dans les faits - et de surcroît écrits dans certaines clauses du contrat de collaboration lui-même -, il apparaissait que le statut réel du collaborateur libéral s’apparentait de trop à celui du salariat, ce n’est pas parce que le contrat est étiqueté « libéral » qu’il protégera le titulaire du cabinet.
Les critères d’un salariat de fait
De jurisprudence constante, les deux critères de fait à réunir pour prouver une situation de salariat sont :
1/ Une dépendance effective du collaborateur envers son titulaire, qui peut se manifester en trois points : - un pouvoir de direction et de contrôle détenu par le titulaire du cabinet (point de vue logique, mais qui est vite un maillon faible), - la clientèle ne dispose pas du choix de son médecin, - l’absence d’indépendance professionnelle réelle (voire dans les situations extrêmes : l’existence d’une clause d’exclusivité, ce qui signe une dépendance évidente).
2/ L’intégration dans un service organisé, qui peut se manifester en trois points : - la sujétion à des horaires (trop) fixes avec absence d’autonomie pour en changer (point de vue logique, mais qui est vite un maillon faible), - des sujétions à des règles trop contraignantes d’organisation du travail (usage qui est souvent une évidence), - l’ensemble de l’outil de travail (matériel et humain) appartenant au titulaire du cabinet (usage qui est, au moins au début, une évidence).
Toujours de jurisprudence constante, le salariat est quasi systématiquement écarté lorsque le collaborateur dispose d’une clientèle personnelle bien individualisable. S’il est aisé en médecine générale d’en faire la preuve via les contrats médecin traitant (sauf dans les structures de type SOS Médecins), il est matériellement et structurellement impossible dans certaines spécialités d’y recourir : c’est le cas fréquent observé en radiologie, ou en ophtalmologie, notamment dans les sociétés d’exercice libéral.
Remarque – Ce qui précède offre de quoi mettre en garde de nombreux spécialistes transformant leurs contrats de remplacements réguliers en collaboration parfois… pseudo-libérale !
Notre conseil pour éviter le risque
Entre la jurisprudence des autres professions libérales, la défaillante rédaction (inspirée du Code du travail) de certaines clauses du contrat-type du Cnom et la réalité sur le terrain, le chemin de crête est très étroit, qui permet de ne pas tomber dans le précipice des Urssaf ou des prud’hommes. Nous conseillons vivement d’inscrire noir sur blanc dans votre contrat de collaboration libérale, et chaque fois que possible, tout critère utile à distinguer la situation du collaborateur d’avec celle d’un salarié : il s’agit surtout d’éviter certains termes collants de trop près ceux du Code du travail (… salarié !), fussent-ils préconisés par le législateur dans son propre texte de loi. Voici la liste minimale des numéros d’articles du contrat-type du Cnom qu’il vous faudra largement rectifier (ou faire rédiger par un cabinet juridique compétent) dans cet objectif afin de vous prémunir du risque de requalification en salariat : art.1, 7, 8, 9 et 10.
Les enjeux financiers
Sans parler des frais inhérents à un contentieux avec votre collaborateur, la requalification en salariat constitue le terme d’un parcours judiciaire long et coûteux par lui-même. Qui aboutit à la régularisation des cotisations sociales dues sur le salarié, assorties des pénalités, et potentiellement à une forte amende pour organisation de travail dissimulé. Rappelons qu’en France, les prélèvements obligatoires de nature sociale pèsent 0,8 fois le net touché par tout salarié, soit 45 % d’impôts sociaux. Tandis que pris sur le travail du médecin libéral, ils ne pèsent environ « que » 20 à 35 %, d’une part selon le secteur conventionnel, avec une importante participation financière de la CPAM sur certaines cotisations sociales obligatoires, et d’autre part selon le revenu social dégagé, qui est d’un montant proche du BNC chez le médecin exerçant en EI. C’est ce gros différentiel que visera l’Urssaf.
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