Neuf fois sur dix, la décision de passer en société d’exercice libéral (SEL) a été prise sans étude préalable des avantages et des inconvénients, bref sans prise en compte de la situation réelle professionnelle, personnelle, et patrimoniale du médecin concerné. Ni à court terme, et encore moins à long terme ! Aucune étude d’opportunité du calendrier proposé, pas de comparaison avec le sort fiscal d’une activité libérale menée en entreprise individuelle (EI) soumise aux bénéfices non commerciaux (BNC) mais améliorée, et encore moins d’étude d’impact en matière de cotisations sociales et de droits acquis. Au total, un océan de vagues espérances et d’aléas !
Une décision majeure par mimétisme ou influence
Souvent cela a été décidé par effet de mode, sur la foi de vagues promesses de gains. Or, une telle décision stratégique génère d’abord des surcoûts importants de mise en place (juridico-administratifs) puis de fonctionnement (comptable et juridique), et engage pour très longtemps. Gare aux désillusions à venir dont les conséquences seront longues à réparer. En attendant, le médecin concerné aura enrichi ses « conseils » sans pour autant avoir amélioré (voire pire, dégradé) ses prélèvements obligatoires personnels, fiscaux et sociaux ! Nos lecteurs s’en sont rendu brutalement compte quand ils ont « découvert », au printemps 2025, que la rémunération de leur métier (en termes fiscaux, les rémunérations des fonctions techniques = RFT) relève obligatoirement du régime fiscal BNC… alors même que la réforme était connue depuis fin 2023 et applicable par acte de gestion dès les rémunérations de 2024 (voir QdM n° 10009).
Certains médecins s’installent en SEL avant même d’avoir exercé une journée en libéral se privant en toute ignorance du premier levier d’optimisation patrimoniale et fiscale de leur outil de travail, leur patientèle !
Mode n’est jamais méthode
La pire des situations est l’étape antérieure, celle où le gibier candidat au passage en société d'execice libéral (SEL) est rabattu par des conseillers bancaires vers tel ou tel conseil à partir d’une « conférence » vantant leurs mérites par des schémas séduisants et simplificateurs à l’excès. Or, une décision stratégique majeure ne se prend pas sur une brochure PowerPoint. Tout comme il n’est pas sérieux qu’un patron d’un service hospitalier ayant par ailleurs une activité libérale accessoire hors hôpital conseille fortement à ses jeunes assistants de s’installer d’emblée en SEL car « c’est le seul moyen pour vous d’avoir des revenus réguliers et maîtrisés, et c’est pourquoi je vous recommande de voir tel cabinet de conseils pour la mise en place de votre SEL… » (sic). Il est encore plus accablant de constater que certains médecins s’installent en SEL avant même d’avoir exercé une journée en libéral se privant en toute ignorance du premier levier d’optimisation patrimoniale et fiscale de leur outil de travail, leur patientèle !
Indications et contre-indications
Au risque de nous répéter : la mode n’est jamais bonne conseillère en matière de finances et de gestion. En gestion de cabinet médical aussi, il y a indications… et indications, et toujours un contexte spécifique à prendre en compte ! Se structurer en SEL dépend de nombreux facteurs, que seule une analyse approfondie permet de mettre en lumière. Méfiez-vous des recettes toutes faites : dont celle du fameux « passage à l’IS » réputé préférable au barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), comme si l’impôt-société devait gommer toute l’imposition spécifique des divers revenus attribués in fine à l’associé médecin exerçant ! Pour adopter la SEL, il vous faut comprendre les différences (de sort fiscal + social) entre dividendes, revenus de fonctions techniques (RFT) et rémunérations de gérance. Et votre conseiller, lui, doit en dominer les subtilités d’effets puis les piloter pour de nombreuses années : sinon, bienvenue dans les marécages de l’aléa et des illusions. Les propositions des promoteurs de la mode sont à examiner avec grande attention : tous connaissent des rudiments de solfège, mais de là à composer un air cohérent et utile à vos intérêts… C’est une tout autre chanson.
Les données minimales à bien cerner
La première question à laquelle il vous faut répondre avant de vous engager est : l’objectif étant la réduction de mes prélèvements obligatoires (au prix de la complexité d’un passage en société), de quel ordre d’idée en sera mon économie annuelle finale ? Ce qui sous-entend déjà d’étudier les divers plans fiscal, social, patrimonial, associatif et entrepreneurial. Et de fuir si les montants économisés restent non significatifs, ou demeurent non chiffrés par votre interlocuteur. La deuxième question est : la SEL est-elle l’outil adapté ? En 2025, cela ne peut être garanti qu’une fois comparée à son alternative bien moins coûteuse ouverte depuis mi-2022 (voir QdM n° 9955) : la simple transformation de votre EI soumise aux BNC en EI assimilée à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) soumise à l’impôt société (IS). Troisième question, le calendrier : n’auriez-vous pas intérêt à passer d’abord par l’étape EI-EURL/IS, voire EI/Micro-BNC chez le débutant libéral, avant de basculer en SEL quelques années après ? Quatrième question, quel type de SEL choisir : la forme SARL (SELARL) en prêt-à-porter automatisé, ou la forme SA (société anonyme), en version lourde ou en version simplifiée (SELAS) ? Enfin, irez-vous vers un endettement de votre SEL devenant votre successeur par rachat de votre outil de travail actuel, ou apporterez-vous simplement votre outil de travail à votre SEL ? Quels en seront les impacts patrimoniaux durant les huit années (minimum) à venir ? Et de manière plus lointaine — ou pas… Car il peut être très opportun de créer une SEL dont la durée de vie est prévue par exemple pour trois ou quatre ans dans certaines situations comme le cumul emploi-retraite —, quelles seront les conséquences fiscales, sociales et patrimoniales de la fin de votre SEL, bref, la sortie du montage ?
Et dans tous les cas de figure, il s’agira de disposer des projections chiffrées et individualisées de tous les paramètres décisifs en la matière : fiscaux, sociaux, patrimoniaux. Enfin, toujours oubliés dans les simulations que nous voyons : quels sont les impacts, et surtout les décisions à prendre en matière de conséquences, sur votre protection sociale individuelle et vos droits acquis en retraite de l’ensemble des choix ainsi opérés ?
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