Passera, passera pas ? Après six mois de réunions, suivis d’un mois de pause pour cause de boycott d’une partie des syndicats de médecins libéraux, les négociations entre l’Assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux ont repris ce jeudi 16 mai pour une dernière multilatérale annoncée par la Cnam comme une « séance de clôture ». Le but du jeu étant que les syndicats disposent cette fois d’un texte définitif dès ce vendredi à soumettre à leurs instances. « Cela ne servirait à rien de poursuivre indéfiniment les discussions, a confié le directeur général (DG) de la Cnam Thomas Fatôme. Il est nécessaire d’achever ces négociations afin que les revalorisations puissent intervenir avant la fin de l’année. » Du fait de la règle des stabilisateurs économiques, l’entrée en vigueur des hausses de tarifs est en effet automatiquement repoussée de six mois. En réalité, le DG joue son va-tout pour arracher en 48 heures un compromis majoritaire sur la future convention médicale.
Un an après le fiasco de février 2023 (qui avait abouti à un règlement arbitral a minima), l’Assurance-maladie espérait convaincre en misant sur le sérieux de sa copie finale, qu’elle juge « solide et substantielle », et ce malgré un contexte financier très contraint. Mais la voie de passage vers un accord devant à la fois valoriser l’exercice libéral et garantir une amélioration de l’accès aux soins est semée d’embûches.
Transmis à la profession huit jours avant la reprise des discussions, le projet conventionnel dans sa version provisoire de 168 pages était jugé « décevant » par la totalité des syndicats. Ce texte qui doit encore être amendé en séance reprend pourtant les principales propositions de la Cnam et en améliore certaines, même s’il y a fort à parier que Thomas Fatôme s’est gardé quelques cartouches en stock.
Revalos ciblées
Conformément à la lettre de cadrage et aux attentes de MG France, incontournable dans ses négos, le projet de la Cnam conforte d’abord « le rôle du médecin traitant dans le suivi des patients et dans l'organisation des interventions de second recours » ainsi que « son rôle pivot du système de santé, de coordination et de synthèse ». L’activité du généraliste sera donc valorisée, à commencer par le très symbolique G à 30 euros et par le forfait médecin traitant unifié, jugé « plus attractif » que la Rosp et le forfait structure. Plusieurs missions spécifiques (maîtrise de stage, prise en charge des patients AME, participation à la PDS et au service d’accès aux soins, collaboration avec des IPA) doivent bénéficier de coups de pouce financiers.
Le projet comporte aussi des revalorisations ciblées sur le second recours, sans ouvrir néanmoins le secteur 2. Mesure phare : la revalorisation de l’avis ponctuel de consultant (APC) à 60 euros pour récompenser l’expertise des médecins spécialistes. Plusieurs spécialités cliniques (psychiatres, endocrinologues, etc.) en bas de l’échelle des revenus vont voir leurs tarifs réévalués. Un soutien financier aux équipes de soins spécialisées (ESS) est acté, de même que les consultations avancées spécialisées en zones fragiles. Une enveloppe de 200 millions d’euros est également sur la table pour revaloriser les actes techniques avant même la refonte de la nomenclature – mais encore loin des 500 millions d’euros réclamés par Avenir Spé, syndicat majoritaire chez les spécialistes.
Si la Cnam décide d’étaler la hausse du G à 30 euros dans le temps, MG France ne signera pas
Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France
Mesures « floues »
Malgré les œillades de la Cnam, les syndicats se déclaraient mécontents de ce projet jugé « insuffisant et flou ». L’absence de calendrier précis d’application des revalorisations, un « point central », n’est pas un bon signal, même si le projet a renvoyé ce point à la discussion ultime en séance. « Le G à 30 euros est un juste rattrapage de l’inflation, insiste la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. Si la Cnam décide d’étaler cette hausse dans le temps, MG France ne signera pas. »
De son côté, Avenir Spé-Le Bloc pointait toujours du doigt le « déséquilibre » financier entre généralistes et spécialistes. « 1,2 milliard d’euros pour la médecine générale et 500 millions d’euros pour la médecine spécialisée. C’est inadmissible », a calculé le Dr Patrick Gasser, coprésident de l’union syndicale. La signature clé de cette organisation majoritaire chez les spés est pour l’heure loin d’être acquise, sur fond de grève programmée début juin dans les cliniques privées.
Marge de manœuvre
Sur le fond, la profession espérait une dernière réécriture du texte pour rendre la future convention acceptable. « Il y a presque un problème à chaque page », se désole la Dr Sophie Bauer, présidente du SML.
Plusieurs mesures relatives aux engagements conventionnels collectifs sur la pertinence et la qualité des soins (arrêts de travail, transports sanitaires, prescriptions inutiles) sont jugées « contraignantes ». Et un autre point du projet crispe la profession : la Cnam réclame aux médecins de « respecter les qualités techniques des prescriptions ». Ce qui signifie prescrire « systématiquement via l'ordonnance numérique » et « recourir à l'ensemble des téléservices de la Cnam ». Il convient aussi d’« accepter l'accompagnement de l'Assurance-maladie afin que la liberté de prescription des médecins et la solvabilisation de ces prescriptions demeurent compatibles ». Un encadrement « intrusif », déplore la Dr Patricia Lefébure, présidente de la FMF. « À ce compte-là, nous ne sommes plus des médecins mais des exécutants de la Sécu », juge-t-elle. Autre pomme de discorde : s’ils valident le projet en l’état, les médecins s’engagent à accepter « le principe du contrôle et de la récupération des indus ». « Dès que l’accord est signé, nous ne pourrons plus contester », fustige le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S.
Avec autant d’irritants, la partie est loin d’être gagnée. Le scénario de l'échec reste envisageable au regard du choc d’attractivité qui était réclamé. Mais les leaders de la profession mesurent aussi les répercussions de l’absence d’accord. « Les dernières heures seront décisives, lâche le Dr Franck Devulder, patron de la CSMF. Nous sommes loin du compte. Pourtant, nous avons une obligation de trouver une voie de passage sinon les difficultés vont augmenter ». Les arbitrages définitifs – à l’Élysée – sur l’investissement financier global et le calendrier des revalorisations seront décisifs.
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