En Europe, 80 % des prescriptions d’antibiotiques (72 % en France selon la Drees) émanent des médecins généralistes et concernent majoritairement les infections du tractus respiratoire supérieur ou inférieur, selon des travaux publiés en 2021 (1). La gravité de la maladie, les comorbidités, la fièvre, l’âge, la durée des symptômes et le résultat de tests rapides (streptotests) influencent la prescription d’antibiotiques dans ces pathologies. Mais des facteurs non médicaux tels que les attentes des patients pourraient aussi entrer en ligne de compte. Des recherches antérieures ont déjà montré que les médecins généralistes sont souvent inconsciemment influencés par les attentes de leurs patients (intentions comportementales, pression sociale…).
C’est ce qui a conduit Julie Domen et coll. (Anvers, Belgique) à chercher à quantifier l'effet de la perception par les généralistes d'une demande d'antibiotiques d'un patient sur leurs prescriptions dans les infections des voies respiratoires supérieures, pathologies majoritairement virales et ne nécessitant pas une antibiothérapie. Ce travail (2) a été mené sous la forme d’un audit prospectif dans 18 pays européens (Allemagne, Arménie, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Moldavie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Ukraine). L’objectif secondaire des auteurs était d’analyser les éventuelles différences selon les pays.
Près de 5 000 consultations étudiées
Un total de 4 982 consultations ont été prises en compte : syndrome grippal (22 %), pharyngite (21 %), bronchite (17 %), infection sévère (3 %), infection nécessitant une hospitalisation (2,3 %)… L’âge médian des patients était de 31 ans. En moyenne, 30 % des patients présentant une toux ou une odynophagie ont été traités par antibiotiques, tout comme 35 % des patients fébriles, 44 % des patients présentant un signe général ou local associé à une comorbidité et 59 % de ceux présentant un tableau clinique considéré comme grave par le médecin. C’est en Irlande que le taux de prescription est le plus élevé (54 %) et en Espagne qu’il est le plus bas (19 %). La France se situe dans les cinq premiers pays prescripteurs, avec un chiffre de 42 %.
La pression de prescription et la prise en compte des signes cliniques et comorbidités sont bien plus déterminantes que le streptotest négatif
La demande d’antibiotiques par les patients a été évaluée à 12 % dans l’échantillon des 18 pays avec des variations nettes : de 49 % en Grèce à 2 % en Allemagne (15 % en France). Mais ce n’est pas parce qu’un patient est en demande d’antibiotiques que le médecin les prescrit : les praticiens grecs, ukrainiens ou espagnols savent dirent non (dans respectivement 78 %, 85 % et 94 % des cas). L’analyse montre néanmoins que lorsque le médecin ressent la demande, il prescrit en moyenne 4,1 fois plus d’antibiotiques qu’en l’absence de requête. C’est lorsque la sollicitation est associée à des signes cliniques mis en avant par le patient (crachats, toux insomniante, sifflement, dysphagie…) que la prescription est la plus importante.
Les auteurs ont aussi analysé l’impact de la réalisation d’un streptotest (qui, de fait, n’est pratiqué que dans 11 % des consultations analysées). Ils expliquent qu’en cas de test négatif, la pression de prescription et la prise en compte des signes cliniques et comorbidités sont bien plus déterminantes.
Qu’en est-il en France ? Peu de données existent sur la pression de prescription des patients. Une thèse de 2021 (3) menée en maison de retraite montre que dans les Ehpad, les personnels des structures, les familles et parfois les patients peuvent influer. Mais c’est surtout la situation pathologique, le flou nosologique, la pauvreté de l’examen clinique, l’absence de plaintes et les nombreuses comorbidités qui peuvent motiver le médecin à prescrire des antibiotiques dans des circonstances qui, chez des patients plus jeunes et en prenant en compte les recommandations de bonnes pratiques, ne conduiraient pas à une telle prescription.
(1) Bruyndonckx R, Adriaenssens N, Versporten A, et al. Consumption of antibiotics in the community,
European Union/European Economic Area, 1997–2017. J Antimicrob Chemother.
2021;76(Supplement_2):ii7-ii13
(2) Domen J, Aabenhus R, Balan A et coll. The effect of a general practitioner's perception of a patient request for antibiotics on antibiotic prescribing for respiratory tract infections: secondary analysis of a point prevalence audit survey in 18 european countries. BJGP Open. 2025 Jan 17:BJGPO.2024.0166
(3) Andreo V. Les déterminants de la décision de prescription d’antibiotiques en Ehpad : étude qualitative auprès des médecins généralistes prescripteurs d’un Ehpad du Var. Thèse 2021
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