Aujourd’hui, 15 % des professionnels de santé exercent en maison de santé pluridisciplinaire. Ce chiffre devrait progresser, tant les jeunes générations de médecins, à l’inverse de leurs aînés, aspirent à un exercice libéral collectif. Mais s’installer en MSP impose le respect d’un strict cahier des charges qui s’accompagne d’une réflexion approfondie à l’égard du projet de santé et de dépenses incontournables.
Avant de pouvoir prétendre au label « Maison de Santé Pluridisciplinaire » et à un quelconque financement des pouvoirs publics (Assurance Maladie, organismes publics régionaux, départementaux, Union Européenne…), l’équipe pluriprofessionnelle doit mettre en adéquation son offre de service avec les besoins de la population locale et accepter de respecter des protocoles communs. « S’installer en maison de santé implique de s’installer dans les normes les plus draconiennes et, donc, de faire face à certaines dépenses », explique Le Dr Brigitte Bouzige, vice-présidente de la Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé (FFMPS). Parmi les impératifs : répondre aux besoins de la population locale, notamment dans un contexte de désertification médicale, proposer une prise en charge pluridisciplinaire, élaborer un véritable projet de santé, des campagnes de prévention, de dépistage et d’éducation thérapeutique, s’équiper suivant des normes ultra-modernes - dont un logiciel de gestion du dossier patient homologué selon les standards de l’ARS - et, enfin, créer les conditions d’une bonne coordination entre les différents professionnels.
Construction : subventions ou emprunts ?
Lorsque le projet de soins est établi, la question du financement des bâtiments se pose. Qu’il souhaite être locataire ou propriétaire, tout médecin libéral qui s’installe fait face à une dépense d’ordre immobilier. Dans le cas des maisons de santé, des financements publics peuvent venir en aide aux équipes. Trois modes de financements extérieurs sont envisageables. Subventions publiques, investissements directs des médecins ou emprunt. « Quelles soient monosites ou multisites, les maisons de santé peuvent bénéficier de subventions par les communes, la région ou même l’Union Européenne. Dans 99 % des cas, l’idée de la maison de santé vient des professionnels et déclenche un besoin. Les élus interviennent alors en soutenant le projet, notamment dans les zones fragilisées du point de vue médical. Le financement des murs par les communes représente entre 25 et 50 % du coût total, le reste étant réparti entre les professionnels », détaille le Dr Bouzige.
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Trouver un local dans une grande ville pour héberger une dizaine de professionnels est coûteux
Dr Pascal Gendry (Renazé)
Président de la FFMPS
Dans certaines zones sinistrées d’un point de vue démographique, les régions ont massivement investi. C’est le cas du Centre où la région, sous l’œil attentif de l’ARS a financé sept maisons pluridisciplinaires destinées à attirer les jeunes médecins dans les campagnes et les petites agglomérations. « Notre territoire est désormais bien doté grâce au financement des bâtiments par la région à hauteur de 50 à 70 % dans le cadre du Contrat de Plan Etat-Région (CPER) », explique le Dr Jean-Pierre Peigné, qui préside la CPTS (Communauté professionnelle territoriale de santé) Sud-Lochois qui comptera bientôt huit maisons de santé.
Le financement complémentaire vient généralement d’un emprunt contracté par la communauté de communes ou la commune qui se rembourse en loyers payés par les professionnels. Mais ce système a son revers de médaille, prévient ce généraliste : « Les médecins payent un loyer toute leur vie et ne sont jamais propriétaires de leur lieu d’exercice ». Un inconvénient, reconnaît le Dr Patrick Vuattoux, généraliste franc-comtois qui exerce depuis vingt ans en maison de santé et défend le modèle de crédit-bail, une location qui nourrit un achat. Car, selon ce fervent promoteur de l’exercice en MSP, la pérennité de l’offre de soins ne peut être assurée que si les médecins sont propriétaires de leur outil de travail. C’est le cas dans le mode de financement représenté par l’investissement privé : les médecins et paramédicaux mettent en commun des fonds propres pour créer leur maison de santé. On retrouve ces structures en zone péri-urbaine ou urbaine qui ne bénéficient pas des mêmes subventions publiques que les zones rurales ou déficitaires en offre de soins. Il existe également un modèle mixte associant des financements publics et privés.
Enfin, lorsqu’ils ne souhaitent pas être propriétaires des murs, les personnels des maisons de santé peuvent en être locataires. « Mais trouver un local dans une grande ville suffisamment spacieux pour héberger une dizaine de professionnels est compliqué et coûteux et peut être un frein à la constitution d’une équipe de professionnels aux revenus différents, explique le Dr Pascal Gendry, président de la FFMPS. Par exemple, une infirmière qui fait beaucoup de domicile ne pourra pas investir dans un loyer onéreux. » Ainsi, pour répondre à la demande en soins des quartiers défavorisés, des sociétés d’HLM louent des locaux à des tarifs raisonnables et la Caisse des Dépôts investit également le secteur.
Des frais de fonctionnement importants
À la question du financement des murs, s’ajoute celui des équipements et de la gestion administrative de la maison. L’exercice à plusieurs impose une organisation et une coordination sans failles. C’est ainsi qu’est apparu un nouveau métier au sein des MSP, celui de coordinateur.
Manager le personnel salarié (femme de ménage, secrétaire), animer et faire vivre le projet de santé territorial validé par l’ARS, concevoir des actions de prévention, organiser des réunions de concertation, en prévoir l’ordre du jour, le compte rendu… Le coordinateur, permet au médecin d’être totalement libéré des tâches administratives et organisationnelles, d’optimiser son temps médical ou d’accroître son temps de repos.
Mais ce nouveau salarié de la maison de santé a un coût. Généralement diplômé d’un niveau Bac +5 en gestion du personnel ou gestion de projets de santé, le coordinateur ne sort pas d’une école spécifique. L’École des Hautes Études en Santé Publique de Rennes, en lien avec l’ARS, propose bien une formation en comptabilité, gestion du personnel et management, mais ce cursus n’est pas obligatoire.
« Le coordinateur doit essentiellement avoir de la méthode », explique le Dr Vuattoux qui précise que ce poste, dont le coût est susceptible de s’élever à plus de 40 000 euros par an en fonction de la taille de la maison de santé, peut se limiter à un temps partiel. Une partie de cette dépense sera couverte par une dotation actuellement gérée par le règlement arbitral qui a pérennisé les Nouveaux Modes de Rémunération, uniquement possible si la maison de santé est juridiquement constituée en société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA).
Avant d’y prétendre, un accord tripartite portant sur le règlement arbitral et l’engagement de la maison de santé à respecter ce règlement est conclu entre la CPAM, l’ARS et les professionnels.
Toucher les NMR impose des contraintes
« Les NMR ont pour objet de rémunérer les actes de coordination qui correspondent à des critères cotés. Plus les critères sont cotés, plus la maison est structurée, plus la somme versée est élevée », précise le Dr Bouzige. Chaque structure s’engage à hauteur de ses possibilités. Le calcul des NMR tient également compte du nombre de professionnels intervenant dans la MSP et de patients pris en charge. Le versement est annuel et, en principe, non renouvelable automatiquement. Si la MSP compte quatre ou cinq médecins par exemple, le financement peut s’élever à hauteur de
40 000 à 50 000 euros et contribuera au soutien financier logistique et organisationnel. Mais toucher les NMR impose des contraintes : une certaine rigueur, l’organisation de réunions, de sessions de formation…
« Sur 1 000 maisons de santé labellisées, 470 sont sous NMR et leur nombre devrait s’accroître car la tendance est au travail en équipe, à la mutualisation des moyens et à la délégation des tâches administratives », fait remarquer le Dr Bouzige qui estime que l’investissement de départ pour mettre au point cette coordination se transforme en un gain de temps et d’argent considérable à long terme. Un avis que ne partage pas tout à fait le Dr Peigné, soucieux d’une dérive vers toujours plus de contraintes : « Embaucher un coordinateur coûte cher et il faut rendre des comptes. Les allocations sont rapidement consommées par les moyens mis en place pour la coordination. Évaluations, comptes rendus d’évaluations, réunionnite improductive… Tout cela pour des maisons qui ne représenteront, à terme, pas plus de 20 % des médecins installés en zones rurales… » Selon lui, « de nombreuses structures renoncent aux NMR pour éviter les obligations qui y sont liées, d’autant qu’il s’agit de financer un poste et des actions qui n’existaient pas auparavant ».
Sur les sept MSP du CPTS Sud-Lochois, seules deux peuvent prétendre aux NMR : « L’éducation thérapeutique, l’information des patients… Toutes ne sont pas en capacité d’assumer cette charge de travail supplémentaire, en particulier dans les zones où les médecins travaillent déjà 50 à 60 heures ». La modification du système d’information de la maison de santé est également un frein, remarque le Dr Gendry : « Un système d’information partagé est le meilleur moyen de prendre en charge des patients en équipe. Mais pour prétendre aux NMR, les professionnels s’engagent à utiliser un logiciel partagé pluriprofessionnel homologué selon les standards de l’ARS. Ce qui représente une dépense supplémentaire et une nécessité d’adaptation pour tous ceux qui ont déjà leur propre logiciel ».
Les médecins libéraux d’Ipsosanté, cabinet de groupe situé à Paris, n’excluent pas, à terme, de constituer une SISA pour bénéficier des NMR. « Nous remplissons l’essentiel des critères pour devenir une MSP, nous faisons de la prévention, du dépistage et allons parfois même beaucoup plus loin. Seul le label nous manque. Mais le cahier des charges est trop contraignant et nous fuyons les lourdeurs administratives », explique Benjamin Mousnier-Lompré, l’un des fondateurs de ce cabinet libéral conçu dans l’esprit d’une start-up avec une place de choix faite aux nouvelles technologies.
L’ensemble de ces dépenses incompressibles incite certains généralistes à opter pour l’exercice en centre de santé plutôt qu’en maison de santé, soutient le Dr Richard Lopez, président de la Fédération Nationale des Centres de Santé (FNCS). « Dans les centres de santé, les professionnels salariés sont uniquement propriétaires de leur activité et la structure est gérée par un organisme gestionnaire non lucratif (organisme mutualiste, fondation, collectivité locale, régime de Sécurité sociale, association…). Le bâtiment peut être la propriété de la ville ou d’un bailleur privé. » Ce mode d’exercice remporte un certain succès auprès des jeunes. Il offre un système rassurant de rémunération stable, une sécurité d’emploi, une couverture sociale protectrice, une retraite confortable, un volume horaire limité dégagé de toute charge de gestion et n’est assorti d’aucune contrainte. « Dans nos centres, un médecin généraliste à 35 heures, qui accueille un patient toutes les 15 minutes, touche un salaire brut de 6 000 euros », fait remarquer Danièle Azoulay, directrice d’exploitation du groupe Noble Age, spécialiste de la gestion d’EHPAD et de SSR et qui investit dans les centres de santé attirant, grâce à des conditions d’exercice confortables, des médecins dans des zones peu attractives.
Les coups de pouce de mutuelles
Je ne vois pas le secteur privé s'intéresser aux MSP
Dr Patrick Vuattoux (Besançon)
Président d'honneur de la Fédération des Maisons de santé comtoises (FéMaSaC)
Dans ce contexte, pourrait-on imaginer des groupes privés investir le champ des MSP ? Le Dr Bouzige n’y croit pas vraiment. « En l’état actuel des choses, je ne vois pas l’intérêt à investir dans une maison de santé car il n’y a pas de service monnayable », constate-t-elle. Et les soins primaires ne sont pas d’une grande rentabilité. « À moins de développer des cliniques de soins primaires pluriprofessionnelles avec une offre technique sérieuse, je ne vois pas le secteur privé s’intéresser aux maisons de santé pluridisciplinaires », abonde le Dr Vuattoux. Ce généraliste prévoit, en revanche, l’arrivée sur le marché de sociétés proposant aux MSP des services de coordination. C’est l’objectif du Dr Pierre de Haas, ancien président de la FFMPS qui lance aujourd’hui avec « Espage » (voir ici), une offre de gestion et d’exploitation complète des maisons de santé, une sorte de système clés en mains. « Il s’agit d’une société de services qui assume la gestion de l’immobilier, des stocks, des secrétariats, des systèmes d’information, des relations avec l’ARS… Une fois le contrat de services signé, les professionnels n’ont à se consacrer qu’à leurs patients ».
Le Dr de Haas sait qu’il pourrait y avoir de la concurrence dans ce domaine de la gestion complète des structures mais il est convaincu que l’avenir des MSP passe par la sous-traitance de la gestion administrative, très attendue par la jeune génération de médecins toujours attirée par l’activité libérale.
La Fédération Nationale de la Mutualité Française a également investi ce secteur de la gestion des MSP. Selon les projets, les spécificités locales, les besoins, la FNMF intervient dans une dizaine de structures, comme à la « Maison de santé du 110 » à Niort avec la Mutualité Française des Deux-Sèvres, à Cussac, avec la Mutualité Limousin ou à Charlieu avec la Mutualité de la Loire. Parfois propriétaire des locaux, ce type de partenaires aide à gérer les secrétariats, les systèmes d’information, le ménage, les réunions de concertation, les démarches auprès des autorités… La mutuelle facture une prestation de gestion ou d’assistanat aux professionnels installés en MSP. « La secrétaire est, par exemple, salariée de la Mutualité et rémunérée comme une prestation de services », détaille Delphine Hernu, chef de projet organisation des soins à la FNMF. à la Mutualité on présente plus ce partenariat comme une façon de soutenir un mode d’exercice structurant ; mais rien à voir avec du business : « Nous sommes un organisme non lucratif. Il n’y a aucune volonté d’investir ce champ de manière agressive, prévient-la responsable. Il ne s’agit pas pour la Mutualité d’une source de revenus. Chaque union territoriale étudie les sollicitations des mairies ou des groupes de médecins et doit disposer des ressources humaines pour y répondre ».
Une place pour les investisseurs privés ?
Le groupe Ramsay Générale de Santé va surement plus loin en concevant des maisons médicales pluridisciplinaires. S’il n’y a pas encore installé de généralistes, il dit recevoir de nombreuses demandes de leur part. « Nous développons des pôles territoriaux aux abords de nos établissements de SSR ou MCO », détaille le Dr Philippe Souchois, directeur de la qualité des risques et des filières de soins du groupe. « En accord avec les généralistes installés dans le quartier, nous avons ouvert une maison médicale à Pontault-Combault. Elle fonctionne avec une équipe d’urgentistes et offre des consultations sans rendez-vous de 8 heures à 22 heures. Un laboratoire et un plateau de radiologie permettent d’effectuer des examens en urgence. »
La structure, qui ne bénéficie d’aucune subvention publique, est financée par le groupe avec un système de redevance et de mise à disposition des services. « Nous n‘avons pas d’objectif de rentabilité avec ces maisons, mais souhaitons accompagner l’organisation territoriale des soins de concert avec les collectivités locales avec lesquelles nous entretenons des liens étroits. »
D’autres projets sont en préparation et pourraient intégrer des généralistes. Parmi les investisseurs privés intervenant dans les MSP, le laboratoire Pfizer a contribué au financement de postes de coordinateurs dans 80 structures par le biais d’un fond de revitalisation et d’un accord signé en 2016 avec la FFMPS et sa coopérative Facilimed. Mais tous ne voient pas d’un bon œil cette participation de groupes privés dans la gestion des MSP. « Nous devons nous méfier car il y a toujours un intérêt financier quelque part, soupçonne le Dr Vuattoux. Cela représente un danger pour la liberté d’exercice des médecins. » Un avis partagé par le Dr Gendry : « avec l’arrivée d’offreurs privés sur le marché de l’offre immobilière ou organisationnelle, nous devrons nous assurer que les médecins ne perdront pas la main sur leur outil de travail et leur projet de santé publique et que les impératifs financiers ne surplomberont pas les intérêts de médecins ».
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