« La médecine est un art, pas une science » pour Philippe Bargain. Le chef du service médical d’urgence (SMU) de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, est fier de sa mission et ne s’en cache pas. D’une famille de médecins - son père et ses grands-oncles l’étaient - il a choisi d’exprimer son art dans un aéroport qui le fascine, l’émerveille. À de nombreuses reprises au cours de notre rencontre, Philippe Bargain usera de superlatifs pour qualifier son lieu de travail : « Magique », « fascinant »... Un enthousiasme dont le médecin ne se départit jamais.
"Les avions ne tombaient pas"
Dans les années 1970, son « maître » Bergot est terrorisé à l’idée qu’un accident d’avion puisse survenir. « Il se disait que s’il y en avait un, nous perdrions des gens car il n’y avait pas d’organisation structurée à l’époque. En 1968, un avion s’était écrasé à Orly. Des tonnes d’ambulances étaient arrivées, les mecs étaient bennés dedans et sont morts aux urgences. C’était la fameuse théorie du "je relève un blessé, je transporte un moribond, j’hospitalise un mort" », se souvient Philippe Bargain. En 1974, le SMU voit le jour. Pour "Maître Bergot", le but est de ne pas être « reprochable » en cas d'accident. Philippe Bargain intègre le service dès son ouverture. Il en prendra la tête en 1985.
[[asset:image:11954 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["St\u00e9phane Dulac"],"field_asset_image_description":[]}]]« Entre l’instant où un accident intervient et l’arrivée des secours extérieurs et leur efficacité il y a environ 45 minutes. S’il y a un service médical, si les pompiers sont libérés de leur opération de feu et si les bons samaritains peuvent donner un coup de main et organiser le décor du drame le temps que les secours extérieurs arrivent et prennent la main c’est déjà très bien. Donc c’est ce petit embryon in situ (le SMU) qui va aider à la gestion de l’accident d’avion, de l'attentat ou d'un accident technologique », développe le chef du service.
Le SMU peut compter sur le soutien d’Aéroports de Paris (désormais Paris Aéroport) « qui a compris que l’aéroport était une cité où peu de gens dormaient mais où beaucoup passaient », se souvient-il. Il y a les passagers bien sûr, mais aussi leurs amis et familles ainsi que les personnels travaillant à l’aéroport. « Quand vous avez tous ces gens vous avez forcément un taux incompressible d’incident et d’accidents de toute sorte qui justifie la présence du service médical. Sinon, il y aurait une perte de chance pour les malades », explique-t-il.
Ethnomédecine, vaccination et bouletteux
« Les avions ne tombaient pas » mais le SMU était de plus en plus sollicité pour des petits soucis de santé, raconte Philippe Bargain. Un lumbago pour un bagagiste, un malade dans un avion… Le SMU se mue alors en un « dispensaire de proximité ». Lequel se verra confier différentes missions au fil des années. Et la plus importante d’entre elles n’est autre que la médecine générale. « Ici, les médecins sont des urgentistes mais en réalité il y a très peu d’urgences. Il y a 170 évacuations de Smur par an pour 66 millions de passagers et près de 90 000 personnels. Ce n’est pas beaucoup. En revanche le quotidien, la vraie médecine, la médecine générale de disponibilité, la réponse à la demande d’aide médicale urgente ou non, ressentie, réelle ou pas, est apportée par le service médical », s’enthousiasme le dynamique médecin. « Si vous vous tordez la cheville à Roissy, un médecin est là, il vous examine et vous prescrit une attelle. Vous allez à la pharmacie du Terminal 2E et hop vous pouvez prendre votre avion ! »
[[asset:image:11953 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["St\u00e9phane Dulac"],"field_asset_image_description":[]}]]Plus que de médecine générale, Philippe Bargain parle d'ailleurs « d’ethnomédecine ». « Ici, le patient on ne le connaît pas ». Les équipes du docteur Bargain doivent donc composer avec les différences culturelles des patients. Comme cette fois où l’interprète d’une patiente japonaise, victime d’hallucinations, reformulait les propos de la patiente lors d’un examen… Cette particularité de l'exercice plaît au chef du SMU, qui ainsi « voyage par procuration », un globe terrestre l'attestant dans son bureau.
Mais le service médical d'urgence n’accueille pas uniquement les voyageurs. Ceux-ci ne représentent que 35 % de la patientèle. La majorité (55 %) des patients est en fait constituée des personnels sur place et accompagnants. Situé dans un désert médical, le service recueille aussi 10 % de patients résidant les alentours. Le service ne se cantonne pas non plus à la médecine générale. Le SMU fait de la médecine du voyage, de la vaccination internationale, notamment pour les pèlerins qui souhaitent se rendre à La Mecque, accueille les rapatriés sanitaires entre deux vols, de la médecine légale du vivant.
Enfin, le SMU a également "une petite activité de bouletteux", ces personnes qui ingèrent des drogues."En toute absence d'humilité" comme il dit, Philippe Bargain explique qu'il est d'ailleurs le premier à avoir découvert cette pratique. "En 1981 j'ai découvert le premier bouletteux sur un avion de Bombay, un type avait avalé de l'héroïne dans des sachets de cire. Certains avaient fondu. Le mec était dans le coma", détaille-t-il.
48 personnes pour un service en mission 365 jours par an
Pour assurer toutes ces missions 365 jours par an, 24 heures sur 24 des équipes composées de 2 médecins, 2 infirmières, 1 coordonnateur et 2 ambulanciers se relaient dans les locaux au terminal 2F. La fréquentation du service reste sensiblement la même, y compris en ce mois d'août. Au total, le service est composé de 48 personnes : 15 médecins, 12 infirmières de soin, 6 coordonnateurs médicaux, 12 ambulanciers, deux secrétaires administratifs et Philippe Bargain, médecin et chef de service. Quand ils ne sont pas de garde, les médecins du SMU travaillent à la ville, à l’hôpital, aux urgences, ou au SAMU.
S’il se définit avant tout comme un « médecin administratif », Philippe Bargain met toujours la main à la pâte quand nécessaire et concède avoir du mal à déconnecter, une fois rentré chez lui. « Mon aéroport me plaît. Le service que je dirige me plaît, je suis en vigilance permanente », confesse-t-il.
Jamais sans sa trousse
Une passion pour le travail que le médecin justifie à l'aide de sa phrase fétiche : « La réussite est la rencontre entre la circonstance et la disponibilité ». Ainsi, sa mallette n’est jamais bien loin : « j’ai toujours ma trousse. Imaginez que je ne l’ai pas et qu’il se passe quelque chose. J’aurais l’air d’un c** ! ». Quelques heures avant notre entrevue, le chef du SMU a ausculté son gardien qui avait une angine. « Quand on est médecin on est disponible, sinon on change de métier ! », estime-t-il.
En 2018, Philippe Bargain fêtera ses 70 bougies et quittera son poste. Non sans mal. « J’ai grandi avec l’aéroport, je suis l‘'inventeur de la médecine aéroportuaire avec Bergot et Pages. Il va falloir que je fasse le deuil de Roissy ». Pour cela, le chef envisage sérieusement de partir en Guyane… pour y être médecin généraliste !
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