LE QUOTIDIEN : Que pensez-vous du plan Buzyn de refondation des urgences ?
Dr PATRICK BOUET : Il comporte des mesures organisationnelles et structurantes qui vont dans le bon sens. Nous y retrouvons beaucoup de nos propositions comme le développement des maisons médicales de garde et des coopérations ville/hôpital. Mais une étape a été oubliée : la réponse aux attentes humaines. Il y a peu d'annonces sur l'évolution des statuts à l'hôpital, l'arrêt des fermetures des lits, de meilleures rémunérations… Cette phase est pourtant essentielle pour la réussite.
Agnès Buzyn propose la création d'un service d'accès aux soins (SAS). Quelles sont les conditions du succès ?
Pas question d'imaginer ce service d'accès aux soins comme une couche supplémentaire sur un système déjà très régulé ! Aujourd'hui, les cultures et stratégies des différents acteurs ne sont pas les mêmes. Sans une démarche volontaire de l'ensemble des libéraux, hospitaliers et salariés, associée à une action forte d'information en direction du public, le SAS ne fonctionnera pas.
La multiplicité des numéros existants complexifie le parcours du patient. Faut-il un numéro unique "santé" auquel seraient associés tous les acteurs qui assurent la régulation ? Pour sortir de l'impasse, pourquoi pas ? Mais attention ! Plus on élargit le mécanisme de régulation, plus on le rend compliqué à gérer au quotidien.
En matière de délégations de tâches, le plan pour les urgences prévoit un accès direct aux kinés pour la lombalgie aiguë et l’entorse de cheville. Que dit l'Ordre ?
Nous disons non à cet accès direct. Le kiné pourrait être consulté directement en cas d’entorse mais dans quelles conditions, sous quelle autorité et dans quels objectifs thérapeutiques ? Pour nous, la solution est de créer une équipe coordonnée de soins dont le médecin traitant est le leader naturel. Tout partage de compétences doit être encadré par des protocoles médicalisés.
J'ai le sentiment que, face à la pénurie médicale et dans l’urgence, des mesures sont prises sans aucune vision globale à long terme ! On fait faire le travail du médecin par d'autres sans penser que dans quelques années, le nombre de praticiens nécessaires sera atteint à la suite des réformes engagées comme la suppression du numerus clausus. Que se passera-t-il en 2025/2030, quand la France comptera plus de 300 000 médecins ?
Faut-il revoir le contenu du métier du médecin ?
Non, le contenu du métier ne doit en aucun cas changer. Cela dit, en dehors de son cœur de métier, c’est-à-dire les compétences diagnostiques et thérapeutiques, le médecin doit apprendre à coordonner une équipe de soins et à bien se servir des compétences des autres professionnels de santé. Cela suppose que les études médicales soient plus professionnalisantes, qu’elles soient centrées davantage sur les exercices professionnels que sur la maquette universitaire proprement dite. Ceci n’est pas un vœu pieu mais une exigence objective si l’on veut sortir de l'ornière.
Si les médecins ne jouent pas le jeu des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), faut-il redouter des mesures coercitives comme le retour des gardes obligatoires ?
La solution qui consisterait à plaquer une contrainte comme le retour des gardes obligatoires n’est évidemment pas la bonne. En revanche, offrir des outils coopératifs avec une organisation souple au plus près des réalités territoriales comme les maisons de santé, les maisons médicales de garde, voire les CPTS plus récentes, permet de reconquérir des territoires perdus. En Aveyron, en Corrèze ou dans le Nord, grâce à ces outils, les Ordres départementaux ont constaté un retour des médecins libéraux vers la permanence et la continuité des soins.
Des maires salarient directement des médecins dans leur commune. Le groupe de cliniques Ramsay veut ouvrir des centres primaires. Êtes-vous inquiet ?
Nous sommes préoccupés. On part du principe que l’argent est un moteur pour les jeunes médecins. Cela évite de se poser la question de la professionnalisation des études médicales pour permettre aux jeunes de s'inscrire dans un projet de territoire.
En tout cas, plus un acteur public ou privé, comme le maire ou une clinique, aura des pouvoirs financiers, plus sa capacité à interagir dans le système de santé risque de creuser des inégalités territoriales. L’État a une grande part de responsabilité. Il doit être le garant de la continuité de la solidarité sur le territoire.
L'Ordre soutient la recertification périodique des médecins. Où en est-on ?
Dans la phase d’élaboration et d’écriture de l'ordonnance, nous sommes consultés sans avoir une vision globale. Des bruits laissent penser que la recertification serait pilotée par l’ANDPC [agence nationale du DPC], une agence de l’État et non par la profession, c’est-à-dire l’Ordre et les conseils nationaux professionnels (CNP). Si c’était le cas, ce serait un casus belli.
Des médecins ont été mis en cause dans l’exercice de leurs pratiques. Mais le grand public n'est jamais au courant des sanctions ordinales. Que faut-il améliorer ?
Le premier pas est de permettre à tous les acteurs responsables du contrôle et du suivi de communiquer entre eux et de façon immédiate. Nous souhaitons la création d'un système d’information à l’instar du système d'information sur le marché intérieur (IMI) qui permet de tracer toutes les condamnations disciplinaires d’un médecin en Europe. Aujourd’hui, nous n’avons en notre possession que le casier judiciaire. Or, dans certaines affaires, les condamnations n'y sont pas inscrites.
En ce qui concerne l’Ordre, nous allons améliorer l’accueil des plaignants. Nous devons mieux définir ce qu’est une plainte ou un signalement. Enfin, une victime peut connaître la condamnation de la personne incriminée, qui est publique et affichée. Mais la loi ne permet pas à l’Ordre de diffuser largement l’information. Peut-être faudrait-il changer cela.
L'Ordre va-t-il porter plainte contre le chirurgien de Jonzac, accusé de pédophilie et visé par une soixantaine de plaintes ?
Je vais demander au conseil national de porter plainte au disciplinaire et de se porter partie civile au pénal. Le conseil national délibérera en session et votera.
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