Habituellement présenté fin septembre, le rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la Sécu (LFSS) l'est désormais dès la fin du printemps afin d'éclairer le Parlement qui s'apprête à examiner une loi d'approbation des comptes de la Sécu nouvellement créée, présentée ce mercredi en Conseil des ministres.
Une occasion supplémentaire pour les magistrats de la rue Cambon d'adresser des alertes au gouvernement, en particulier sur la réforme du système de santé dans un contexte où l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam) est inférieur à l'évolution de l'inflation. « Il importe donc que des mesures correctrices soient déclenchées en cas de dérapage des dépenses, quelle que soit leur cause, et que des dispositifs de régulation soient mis en œuvre pour tous les secteurs, y compris les soins de ville et les indemnités journalières », avertit la Cour.
Au doigt mouillé
La maîtrise médicalisée des dépenses est – une fois de plus et comme depuis une quinzaine d'années – dans son viseur d'autant plus qu'elle en trouve « le champ d'application étroit ». « Le chantier de la recherche de l'efficience pour les soins de ville doit être envisagé avec beaucoup plus de clarté, de détermination et de constance dans le temps », estime Pierre Moscovici, son président.
La Cour regrette surtout des objectifs au doigt mouillé. En d'autres termes, « le chiffrage des économies envisagées ne repose pas sur une simulation ou sur une prospective argumentée des effets des actions prévues », écrit-elle. Les cibles annuelles de la maîtrise médicalisée se situent en général entre 700 et 800 millions d'euros, bien loin des gisements potentiels estimés entre 12 et 18 milliards sur les « prescriptions, de toute nature, effectuées par la médecine de ville ».
Rendre la prescription électronique obligatoire
Exemple, la Cour ne comprend toujours pas pourquoi les génériques sont toujours moins consommés en France qu'ailleurs. En effet, ceux-ci représentent 38 % du marché en volume et 19 % en valeur, contre une moyenne européenne de 60 % en volume et jusqu'à 80 % en Allemagne. C'est notamment pour cette raison que la Cour propose une mesure radicale : rendre obligatoire la prescription électronique, notamment pour les médicaments et les dispositifs médicaux, ainsi que « les mentions des indications médicales justifiant ces prescriptions », un moyen très opérant à ses yeux d'automatiser les contrôles.
La Cour des comptes ne serait pas la Cour des comptes si elle ne s'inquiétait pas de la traque contre les fraudes. La hausse des dépenses d'indemnités journalières (+13,7 % entre 2021 et 2022) l'inquiète tout particulièrement car le Covid et la hausse des salaires ne l'expliquent pas complètement.
De manière générale, l'Assurance-maladie devrait prioritairement « mettre en échec les surfacturations » qui émanent des professionnels et des établissements en musclant ses systèmes informatiques pour rendre les contrôles plus automatiques. « Nous invitons aussi les différentes branches de la Sécurité sociale à accentuer leurs contrôles a priori, a précisé Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre. Cela peut passer par des contrôles embarqués dans des systèmes d'information ». Ceux-ci pourraient par exemple détecter automatiquement des cumuls de cotations réglementairement impossibles. En cas de fraudes constatées, les caisses primaires ne devraient plus hésiter à recourir à la possibilité, ouverte par le budget de la Sécu, d'extrapoler à l'ensemble de l'activité d'un professionnel le calcul d'indus, réclame la rue Cambon.
SAS : les mises en garde de Moscovici
Autre sujet d'impatience : la mise en place trop lente du service d'accès aux soins (SAS) qui ne couvre aujourd'hui que la moitié de la population, dans un contexte où la demande de soins urgents et non programmés explose. Entre 2014 et 2021, le nombre d’appels reçus par les Samu est passé de 26 à 32,3 millions dont 38 % relèveraient d'une prise en charge par la médecine de ville. « Le succès du SAS dépendra des capacités de la médecine libérale à se mobiliser et s'organiser afin que toute personne qui a besoin d'être examinée par un généraliste en ville puisse bénéficier d'une consultation dans les 48 heures », juge Pierre Moscovici. Il prévient que la Cour sera très attentive à ce que cet objectif soit « mesuré et atteint ». La généralisation des SAS requière aussi des points de vigilance. La gouvernance de ces plateformes devra « refléter la bonne articulation entre l'hôpital et la médecine de ville ».
Enfin, la Cour s'est intéressée aux expérimentations dites « article 51 » qui permettent de déroger aux règles de financement et d'organisation des soins – dont un certain nombre arrivent à leur terme et pourraient être généralisées via le prochain PLFSS. Si les magistrats ne se sont pas penchés sur les 120 expérimentations une par une, ils estiment qu'il y en a eu beaucoup trop lancées en même temps et qu'il conviendrait d'être plus sélectif. « La revue systématique et le tri des projets n'ont pas encore été engagés et la stratégie pour préparer la généralisation de celles qui paraissent pertinentes tarde à être définie », soulignent-ils. « La technique de l'expérimentation ne doit pas être un moyen dilatoire pour repousser l'engagement de réformes utiles », avertit Pierre Moscovici.
La Cour des comptes devrait présenter avant l'été une série de notes thématiques – dont l'une dédiée aux soins de ville et l'autre à l'hôpital – pour affiner davantage ses préconisations et donner du grain à moudre au gouvernement pour la préparation du budget de la Sécu 2024.
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