LE QUOTIDIEN : Emmanuel Macron annonce un brainstorming général, réunissant libéraux, hospitaliers, citoyens, patients et collectivités, autour d’une réforme du système de santé. Que pensez-vous de cette méthode ?
Dr ANTOINE LEVENEUR : Cela veut dire que la méthode précédente n'était pas la bonne ! C'est le diagnostic du Dr Macron. Et comme traitement, il propose à présent de changer de méthode. Mais est-ce que le discours du président de la République va être suivi d'effet ? On annonce, par exemple, la généralisation à partir de juillet du service d'accès aux soins (SAS). Or ce dispositif est actuellement expérimenté dans 22 sites pilotes et certains sont loin de fonctionner de façon optimale. Il y a sans doute des leçons à tirer de cette expérimentation, avec une évaluation, avant d'envisager la généralisation. Les bras m'en tombent. Je me demande où est le changement de méthode en réalité ?
Le président veut aussi redonner de la liberté aux territoires pour décloisonner les relations ville-hôpital. Quel rôle souhaitez-vous jouer ?
Les URPS sont de plus en plus identifiées dans les régions par les agences régionales de santé (ARS). Cela n'était pas le cas, il y a encore cinq ou six ans, dans certaines régions. Ce qui a changé est que les Unions se sont vues confier via des textes réglementaires de nouveaux champs d'actions. Du coup, cela oblige les ARS et les URPS à des concertations sur des thématiques lourdes comme l'organisation du second recours, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou la télémédecine. Mais on ne peut regretter que la façon de travailler des ARS ne soit pas uniforme dans toute la France. C'est là où l'on attend également que le prochain ministre de la Santé envoie un signal fort aux ARS sur la nécessité justement de travailler étroitement, loyalement et efficacement avec les Unions.
L’accès aux soins sera un des enjeux du quinquennat. Parmi les mesures proposées, Emmanuel Macron n’écarte pas la régulation à l’installation en fonction des territoires. Est-ce une bonne idée ?
La conférence nationale des URPS-ML refuse toute solution coercitive. Non seulement, celle-ci ne permettrait pas de régler les difficultés d'accès aux soins mais au contraire les aggraverait. Les médecins formés ne vont pas s'installer si on ne leur propose pas des conditions d'exercice et de vie acceptables pour eux et leur famille. En revanche, nous ne sommes pas opposés à une régulation qui s'accompagne de mesures incitatives bien comprises, partagées et attractives pour favoriser l'installation d'un médecin avec sa famille dans un territoire en tension.
Le président souhaite aussi rouvrir le débat sur la PDS. Quel est votre sentiment ?
J'avais moi-même participé avec le ministre de la santé de l'époque, Jean-François Mattei, à l'écriture du décret du 15 septembre 2003 qui a mis fin à l'obligation des gardes. Le volontariat fondé sur une resectorisation des secteurs et des mesures attractives comme la création des astreintes était alors un progrès pour les médecins généralistes. Aujourd'hui, je suis d'accord pour considérer qu'il est de la responsabilité de la profession de s'organiser. Mais on voit bien que rendre obligatoires les gardes aux seuls libéraux ne résoudrait aucunement les difficultés. En effet, il existe de grandes tensions dans les services d'urgence hospitaliers, les maternités publiques ou privées, les services de pédiatrie ou de réanimation, faute de personnel. Je tire la sonnette d'alarme sur la nécessité de repenser les activités médicales 2 4h /24, 7 jours sur 7. Nous devons être solidaires. Les professionnels de santé du secteur public et privé doivent réfléchir collectivement pour trouver des solutions locorégionales. J'imagine, par exemple, une réserve sanitaire régionale qui serait composée d'urgentistes, de généralistes pour assurer les gardes dans les territoires en tension.
Justement, le SAS n'est-il pas un bon outil pour désengorger les urgences ?
Il a plusieurs défauts. Le dispositif a fléché les CPTS comme les partenaires du SAS. Or la majorité des territoires ne sont pas pourvus de CPTS fonctionnelles ! Pour résoudre cette problématique des soins non programmés, la conférence nationale exige que tout projet SAS soit discuté en concertation avec les acteurs locaux. Je crois comprendre qu'une circulaire de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) va être adressée aux ARS pour les inviter à approfondir la concertation locale avec les URPS. Par ailleurs, le fait de rendre obligatoire l'inscription des médecins sur la plateforme nationale est un frein. Beaucoup de médecins libéraux ne souhaitent pas voir leurs plages dédiées aux soins non programmés transférés sur un site national, géré par je-ne-sais-pas-qui. La CN-URPS s'opposerait aussi à toute structuration juridique des SAS sous forme de groupement coopérative sanitaire (GCS). Ce serait beaucoup trop lourd, complexe et risquerait d'aboutir souvent à un pilotage par les hospitaliers. Enfin, l'avenant 9 à la convention médicale doit être revu car la rémunération proposée actuellement ne permet pas de compenser le changement d'organisation dans les cabinets médicaux.
Le président veut accélérer la délégation de taches pour faciliter l'accès aux soins. Comment les unions peuvent-elles accompagner cette évolution auprès des médecins ?
C’est un vrai sujet. La conférence nationale URPS est partenaire pour rentrer dans ces discussions-là et je n’ai pas de tabou. Pour peu que cela se fasse dans la concertation et l’accord des différentes parties. Le reproche que l’on peut faire à « l’ancienne méthode », c’est que les syndicats de médecins libéraux n'étaient pas consultés. Les médecins apprenaient tout d’un coup que les paramédicaux pouvaient faire certains actes médicaux. C’est là où la méthode doit changer fondamentalement car vous n’aurez jamais l’accord d’une profession en imposant des décisions. Nous sommes là pour avancer mais dans le respect de tout le monde.
Pour autant, est-ce que les médecins ont vocation à tout gérer pendant encore 50 ans ? Je suis prêt à en discuter, surtout quand il n’y a plus de médecins sur un territoire. Cependant, la loi de 2004, qui a créé le concept de médecin traitant, indique que ce dernier est responsable du dossier médical et du parcours de soins du patient. Donc, que devient sa responsabilité aujourd’hui si un kiné gère en direct une cheville, alors qu’il y a une fracture de la malléole externe ? Est-ce le médecin traitant qui est toujours légalement responsable, alors même qu’il n’a pas été consulté ? C’est important et il faudra trancher ces questions. Ces discussions relèvent presque du niveau ordinal. Ensuite, pour les dispositions conventionnelles, cela se fait au niveau syndical. Et quant à la mise en application sur les territoires, c’est le job des unions professionnelles.
Que pensez-vous d’un mode de financement collectif spécifique aux territoires (populationnel, territorial, ROSP collective…) ?
Je peux tout entendre et discuter de tout. Cependant, quelque chose me chatouille : on ne parle plus de revalorisation de l’acte en lui-même. Or le cœur de notre métier d'être en face de nos patients. Quand les actes restent bloqués pendant des années, ce n'est pas acceptable et même irrespectueux à l’heure où l’entreprise médicale fait face à des charges qui augmentent tout le temps.
Je suis un ardent défenseur et j'ai toujours milité pour l’organisation territoriale, et tout ce qui va l'accompagne et la favorise. Je suis aussi d’accord pour que des pans de la pratique, notamment tout ce qui touche à la prévention, ne soient pas rémunérés uniquement à l'acte. Mais aujourd’hui, l’ensemble des médecins libéraux n'est pas engagé dans une organisation territoriale. Un certain pourcentage de médecins ne serait donc pas concerné par ces rémunérations forfaitaires collectives. Je ne souhaite pas qu’on laisse de côté ces médecins qui travaillent en exercice isolé, d'ailleurs pas toujours pas choix.
Quelles sont vos relations avec les représentants des usagers ?
Nous devons dialoguer avec les associations de patients et d’usagers. Et je pense qu'ils doivent avoir une place dans les projets de CPTS car c’est la seule façon d’emmener tout le monde dans une même dynamique sur un territoire. Tous mes confrères présidents d’URPS ont intérêt à tisser des liens plus étroits avec les usagers. Ce sont souvent les avocats numéro un des professionnels de santé libéraux dans les territoires !
Il y a pu y avoir des dissensions au sein de la conférence nationale des URPS. Comment se positionne-t-elle désormais ?
Oui, jusqu’à présent la conférence était pilotée par un syndicat majoritaire. À la suite des dernières élections, le constat collectif a été amer face à la faible participation au scrutin et à l'émiettement syndical. C'est aussi pourquoi, nous, acteurs régionaux, avons considéré que nous devions prendre le relais, à côté des syndicats, et nous faire le porte-voix des régions.
Le rôle de la conférence nationale est de représenter des Unions qui travaillent, tous les jours, sur l’organisation des soins et de proposer des orientations ou des actions sur ce thème. Par exemple, en cas de situation sanitaire exceptionnelle, il y a des plans blancs hospitaliers ou des plans bleus dans le médico-social, mais rien pour l'ambulatoire. Or on l’a bien vu avec le Covid, la ville s'est organisée solidairement, mais rien n'était préparé. Je souhaite ardemment définir un équivalent de plan blanc pour le milieu ambulatoire. Nous ne sommes pas là sur le champ des syndicats de médecins libéraux. Et d'ailleurs, je ne veux pas qu'on nous oppose.
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