Le Dr Luc Griesmann exerce depuis plus de 25 ans un métier qui le passionne. Installé à Belfort depuis 1990, le généraliste âgé de 60 ans envisage pourtant un départ vers la Suisse, voisine d’une vingtaine de kilomètres. Le médecin, secrétaire régional de la FMF et représentant aux URPS de Bourgogne-Franche-Comté, n’accepte pas la généralisation du tiers payant, et regrette le « mépris des tutelles » à l’égard de sa profession. Il fait part au « Quotidien » de son ras-le-bol et de celui de ses confrères.
LE QUOTIDIEN : La généralisation du tiers payant a été adoptée par les députés il y a quelques jours. Une fois cette mesure entrée en application, quelles vont être les conséquences pour vous ?
Dr LUC GRIESMANN : La première sera une perte financière. C’est déjà ce que je constate sur le tiers payant social que je pratique. Soit la part mutuelle n’est pas réglée, soit le patient a changé de médecin traitant, sa carte Vitale n’est pas à jour... C’est une usine à gaz, du temps en moins pour les soins.
Mais surtout, cela va changer ma relation au patient. Aujourd’hui, quand un malade entre dans mon cabinet, je commence par lui demander la raison de sa visite, et la consultation suit son cours. La question du paiement n’arrive qu’à la fin. Demain, il faudra commencer par lui demander sa carte Vitale, vérifier s’il est à jour de ses droits... Le patient qui ne règle rien n’aura pas ce souci, ce sera au médecin de tout vérifier, avant la consultation, afin de s’assurer qu’il sera réglé. Et ce n’est qu’après tout ça qu’on pourra demander au patient ce qui l’amène !
Le tiers payant généralisé, c’est la mesure de trop ?
Oui, les contraintes administratives deviennent intolérables. Mais je regrette aussi le mépris que les tutelles ont aujourd’hui pour les médecins, et plus généralement pour tous les soignants. À tous les niveaux, le critère financier prend le pas sur l’aspect médical. Le côté humain passe complètement à la trappe.
Qu’allez-vous faire dans les prochains mois ?
J’envisage sérieusement de partir exercer en Suisse, qui est toute proche. J’ai déjà deux offres formulées par un cabinet de recrutement. Les conditions financières sont très avantageuses et surtout, ce qui est le plus important pour moi, il n’y a quasiment plus de paperasserie et de tracasseries administratives ! J’ai des retours très positifs de confrères partis là-bas.
En cas de départ, cela vous obligerait à fermer votre cabinet, quitter vos patients...
Je vais essayer de négocier une activité à temps partiel en Suisse pour continuer à faire un peu de médecine en France. Si je le fais, ce sera pour mes patients, pas pour l’aspect financier. Dans ce cas, je me déconventionnerai. Je veux continuer à pratiquer une médecine de qualité, prendre mon temps avec les patients.
Qu’en pensent vos malades, justement ?
Ça fait un moment que je leur en parle. Que je leur dis que j’en ai assez du mépris qu’on affiche vis-à-vis des soignants. Ça leur fait de la peine, ils sont déçus, ils vivent cela comme un abandon, mais ils me disent qu’ils me comprennent.
Comment vos confrères réagissent-ils à la mise en place prochaine du tiers payant généralisé ?
À Belfort et à Montbéliard, je connais une généraliste qui s’est déconventionnée, une autre qui va le faire. Ensuite, il y en a deux autres qui abandonnent le libéral pour le salariat, en médecine du travail. Deux autres qui partent ou vont partir en préretraite. Des collègues dans le public vont, eux, travailler en Suisse. Sur Pontarlier, 3 ou 4 médecins sont aussi sur le départ… La liste est longue. Je ne connais aucun confrère qui soit content de la situation actuelle.
Qu’est-ce qui vous ferait changer d’avis ?
Je ne serais pas contre le tiers payant généralisé s’il était fait intelligemment et si un organisme indépendant s’en chargeait et garantissait le paiement des actes et la véracité des informations contenues sur la carte Vitale en instantané. Je ne fais plus confiance à la Sécurité sociale pour s’en occuper. Je ne crois pas aux promesses du ministère sur la simplicité du système qu’il veut mettre en place.
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