« Environ 3 ou 4 femmes sur 10 dans la salle d’attente d'un médecin généraliste ont déjà subi des violences », lance le Dr Camille Lévêque, médecin généraliste en région bordelaise et cheffe de clinique, lors du congrès du CNGE (Collège national des généralistes enseignants), qui se déroule pendant trois jours à Bordeaux. Une thématique cruciale en médecine générale, qui a poussé le CNGE à consacrer plusieurs conférences sur le sujet.
Parmi les questions abordées : quelles techniques de communication mettre en place en cabinet face à des victimes de violences conjugales ? Un sujet délicat, porté par le Dr Stéphanie Mignot, médecin généraliste à Poitiers.
« Vous a-t-on fait du mal ? »
Tout d'abord, le récit de la patiente doit amener à se questionner quant à la personnalité du conjoint. « Les auteurs de violence ont des comportements stéréotypés, très faciles à repérer. Ils vont avoir tendance à prendre l’ascension sur la relation, en passant par la séduction au début. Les stratégies de violence sont conscientes : humilier, punir et intimider », raconte le Dr Mignot, qui précise qu’il n’existe néanmoins pas de profils type, ni socio-économique, ni culturel. En cas de violences conjugales, « on retrouve toujours une inversion de la culpabilité. L’auteur de violence culpabilise sa victime, lui dit "tu vois ce que tu me fais faire" ».
Pour élaborer des techniques de communication en médecine générale, le Dr Mignot a mis au point une étude observationnelle, en enregistrant 326 consultations, et dégagé des grandes pistes de dialogue. « Le premier conseil est de laisser parler la patiente, lui donner du temps, sans l’interrompre », explique-t-elle. Souvent, les symptômes évoqués par la patiente sont flous, répétitifs, sans solution. « Il faut savoir interpréter les discours diffus et repérer des maladies en lien avec des antécédents de violence, comme l’addiction. »
Ensuite, « il faut saisir le bon moment dans la conversation. C'est la technique d’approche », détaille la généraliste. Par exemple, se saisir d’une discussion autour de la contraception pour aborder la question du conjoint. « Et là enchaîner sur des questions en entonnoir : "vous a-t-on fait du mal ?", "votre conjoint est-il compliqué à vivre ? Difficile ?" », indique le Dr Mignot, qui conseille au généraliste d’enchaîner ensuite sur des questions plus précises : « est-il jaloux ? », « regarde-t-il dans votre téléphone ? », « est-ce que ce n’est jamais assez bien pour lui ? », « est-ce qu'il lui arrive de taper dans les murs ? »...
Dépister et orienter
« Ces questions, c’est ce que les femmes attendent de leur généraliste », encourage-t-elle. Et, si souvent les réponses sont négatives de prime abord, il faut oser questionner et persévérer. Parfois jusqu’au signalement au procureur. Un moment délicat pour la patiente et le médecin : « rappelez-lui qu’elle n’est pas responsable de ce qui lui arrive, mais surtout, ne la poussez pas à partir sans aide », exhorte le Dr Mignot.
Si le danger est imminent - en cas de menace de mort par exemple - il faut trouver une solution de logement d'urgence. « Mettez en place des stratégies avec la patiente, mais surtout prévenez là de ce qui va se passer ensuite : il va la harceler, puis se victimiser ou faire des menaces de suicide », conseille la généraliste.
Le dépistage, mais aussi l’orientation sont essentiels dans la prise en charge des violences conjugales. « En structures d’aide, seules 22 % des femmes y avaient été orientées par leur généraliste », déplore Camille Lévêque. Développé en 2016 dans le cadre d’une thèse, le site Déclic Violence cartographie sur toute la France les centres d’aides vers lesquels orienter les victimes. Un outil essentiel pour le généraliste.
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