DIX MINISTÈRES concertés, treize tables rondes, plusieurs territoires ruraux visités. Au terme d’un an de travaux préparatoires, un rapport parlementaire de 500 pages analyse la politique d’aménagement du territoire en milieu rural sous toutes ses coutures (agriculture, éducation, justice, tourisme, économie…) et consacre un large volet à la santé.
Commandé par le comité d’évaluation et de contrôle (CEC) des politiques publiques et co-rapporté par deux parlementaires de bords différents (Jérôme Bignon, député UMP de la Somme, et Germinal Peiro, député socialiste de la Dordogne), le rapport souligne le défi que constitue l’égal accès aux soins, une question qui apparaît comme « la première attente des habitants des territoires ruraux en termes de services ».
Selon un récent sondage du CISS (usagers), la répartition des médecins est jugée inégale pour 87 % des Français. Le taux de généralistes varie fortement d’une région à l’autre (1 à 2,5), les variations vont même de 1 à 8 pour les infirmiers libéraux. Environ 2,5 millions de personnes vivent dans des secteurs touchés par la désertification médicale. Surtout, il faut s’attendre à une baisse de 10 % du nombre de médecins à l’horizon 2025 (soit 21 000 praticiens de moins), en raison de départs non remplacés, souligne le rapport. La densité médicale devrait chuter de 15 % sur cette période passant de 336 médecins pour 100 000 habitants à 283 pour 100 000.
Effet d’aubaine.
Dans ces conditions, résume le rapport, « le renouvellement des médecins de campagne est prioritaire ».
Mais jusque-là, suggère les auteurs, les mesures décidées n’ont pas été à la hauteur des enjeux.
Les contrats d’engagement de service public (CESP, bourses « anti-déserts ») peinent à séduire les étudiants et les internes (146 contrats conclus en 2010/2011 contre 400 par an espérés). D’autres dispositifs utiles ne sont pas opérationnels : guichets uniques à l’installation sous la responsabilité des ARS, accueil des médecins stagiaires au sein des maisons de santé avec la mise à disposition de logement privatif… Certaines dispositions ont carrément fait chou blanc. Comme le rappelle Gérard Pelhate, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (MSA), auditionné par ce groupe de travail, « des mesures comme la majoration de 20 % des honoraires dans les zones de désertification médicale […] coûtent très cher pour un résultat à tout le moins mitigé. Cela n’a fait qu’améliorer le revenu des médecins déjà en place ». La question de l’effet d’aubaine des aides financières est ici posée.
Les élus ruraux de leur côté ont du mal à conserver leurs médecins ou à les remplacer faute de politique globale d’aménagement du territoire, la clé du problème. « Pour booster l’attractivité des territoires aux yeux des médecins, les élus ont entre les mains des outils intéressants mais insuffisants », tranche Germinal Peiro.
Des professionnels de l’ingénierie de projet.
Faut-il imposer des mesures contraignantes ? Prudemment, le rapport constate que la question récurrente de nouvelles règles « conditionnelles » de conventionnement chez les médecins « ne fait pas l’objet d’un consensus au sein des élus ». Plusieurs pays (Allemagne, Autriche, Angleterre, Suisse, Quebec) ont décidé de restreindre la liberté d’installation des praticiens conventionnés, mais « sans résoudre la totalité des problèmes », souligne le rapport citant une étude du Sénat.
Le principal handicap des seules aides financières (de la Sécu, de l’État, des collectivités…), c’est qu’elles ne lèvent pas les freins à l’exercice en zone démédicalisée, « en particulier l’isolement ». Pour sortir du
« cercle vicieux de la désertification », les rapporteurs préconisent une mobilisation animée par un ou plusieurs élus locaux « porteurs », autour de projets de santé et d’exercice regroupé et pluridisciplinaire. « Monter un projet de santé n’est pas évident pour des élus de villages de 500 âmes, parfois imperméables au langage technocratique des administrations » concède Jérôme Bignon. Le rapport suggère de nommer « au sein de chaque ARS ou de chaque conseil régional de l’Ordre des médecins un professionnel de l’ingénierie de projet chargé d’accompagner les particuliers et les collectivités territoriales porteurs d’un projet de santé » (coopération qui passe par le travail en réseau des intervenants médicaux et paramédicaux, le déploiement du dossier médical personnel (DMP) partagé, la délégation de tâches…).
Dans la même veine, les deux députés défendent le développement des pôles d’excellence rurale (PER), à l’instar de ce qui existe dans la Somme. La communauté de communes du sud-ouest amiénois (40 000 habitants) a mobilisé 1,5 million d’euros de subvention de l’État pour développer les métiers du maintien à domicile, la construction de trois maisons de santé… Les acteurs réfléchissent à la création d’un système de transport à la demande qui permettrait aux patients à pied de consulter un médecin ou de se rendre à l’hôpital grâce au covoiturage ou au bus scolaire. « Le modèle du médecin rural traditionnel travaillant 70 heures par semaine, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, ne sera pas perpétué (...). Le médecin veut être un vrai acteur de politique de santé sur le territoire », lit-on dans le rapport.
ADSL et fibre optique.
« Pour renforcer l’attractivité des territoires, il faut aussi miser sur les nouvelles technologies, explique Germinal Peiro. En Dordogne, on finit de placer l’ADSL et on aura bientôt la fibre optique ». Une nécessité pour déployer le dossier médical personnel (DMP) de façon organisée. Dans le pays de la Vallée de Montluçon et du Cher, territoire à la population vieillissante et isolée, « chaque acteur médical développe son propre système incompatible avec celui des autres », déplore le rapport. « Si les élus font des efforts pour harponner les médecins, ces derniers doivent aussi faire des concessions, ajoute Germinal Peiro, agacé par l’attachement viscéral des médecins à leur liberté d’installation. La société paie les études médicales, l’assurance-maladie met la main au porte-monnaie, c’est maintenant leur tour de s’investir pour éviter la désertification médicale… À moins qu’ils ne préfèrent laisser la place vacante aux médecins étrangers ».
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