Toujours et encore ! Devant les membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Guillaume Garot, député Nouvelle Gauche (NG), a présenté mercredi la proposition de loi de son groupe visant à lutter contre les déserts médicaux en limitant la liberté d'installation.
Après trois heures de discussion, ce texte a été rejeté par la commission des affaires sociales. La PPL sera tout de même débattue en séance publique à l'Assemblée jeudi 18 janvier dans le cadre d'une niche parlementaire.
Opiniâtre, l'élu de la Mayenne, département frappé par la désertification médicale, a tenté de convaincre ses collègues de créer un dispositif de régulation de l'installation des médecins libéraux appelé « conventionnement territorial ». Il s'agirait de limiter les installations de praticiens libéraux supplémentaires dans les zones « en fort excédent » en matière d'offre de soins (définies par les ARS en concertation avec les syndicats). Le médecin libéral qui voudrait quand même s'y installer ne pourrait être conventionné par l'assurance-maladie que si un autre médecin de la même zone cesse son activité. Un mécanisme en réalité très dissuasif puisque les patients d'un praticien non conventionné sont remboursés sur la base d'un tarif dérisoire.
Comme les kinés, les infirmières…
Pour le rapporteur, il y a urgence. Guillaume Garot a souligné que la mauvaise répartition des médecins coûtait à l'État de 900 millions à 3 milliards d'euros selon le dernier rapport de la Cour des comptes. En Mayenne, quelque 10 000 patients n'ont pas de médecins traitants.
« Depuis dix ans, droite et gauche ont mis le paquet sur les politiques d'incitation avec la création des maisons de santé ou les nombreuses aides à l'installation. Mais ces politiques ont-elles eu des résultats escomptés ? Non ! Je crois qu'on doit poser la question de la juste répartition des médecins sur le territoire pour garantir l'accès aux soins de nos concitoyens », a martelé l'élu mayennais en mettant en avant l'esprit « non coercitif », selon lui, de cette mesure.
« Le médecin a toujours la liberté de s'installer dans les zones où il n'y a pas de besoins mais… il ne sera pas conventionné », a-t-il plaidé. « Par ailleurs, a lancé le rapporteur, pourquoi cette régulation qui existe pour les pharmaciens, les kiné ou les infirmières ne marcherait pas pour les médecins ? »
Députés divisés
Sans surprise, ces arguments rebattus n'ont pas convaincu les députés de la majorité (La République en Marche) et ceux des Républicains (LR) qui ont voté les amendements supprimant cette initiative.
Dans une ambiance parfois électrique, ces élus ont critiqué une « fausse bonne idée », qui découragerait définitivement les jeunes à s'installer en libéral. Le député Gilles Lurton (LR, Ille-et-Vilaine) a fait valoir que ce schéma risquait même de creuser davantage des inégalités d'accès aux soins en permettant aux médecins de se déconventionner. Plusieurs députés ont plutôt mis en avant le plan antidéserts dévoilé en octobre par le gouvernement (excluant toute forme de coercition) et suggéré d'autres mesures pour redonner confiance (revalorisation de la rémunération, aménagement du territoire, etc.).
La députée et pharmacienne Josiane Corneloup (LR, Saône-et-Loire) s'est montrée très critique. « Il est dommage de caricaturer une profession qui serait attirée par le soleil. Cette mesure [de conventionnement territorial sélectif] est trop restrictive car elle n'aborde que l'aspect administratif de l'installation. Il faut inciter davantage. »
À l’inverse, les membres des groupes UDI, de La France Insoumise (LFI) et de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ont soutenu cette offensive jugée « de bon sens ». « La médecine à deux vitesses semble s'installer sur notre territoire. Il faut du courage politique et il y a urgence à remettre en cause la liberté d'installation et la liberté tarifaire », a carrément lancé Adrien Quatennens (LFI) dont le parti propose de créer un corps de médecins fonctionnaires.
Extension du tiers payant, le retour
L'autre mesure, inscrite dans la même proposition de loi (NG), également balayée, concerne la dispense d'avance de frais. Guillaume Garot a proposé de généraliser le tiers payant à tous les assurés « en priorité dans les maisons et centres de santé ». Selon le député, cette mesure permettrait de libérer du temps médical et d'inciter les médecins à s'installer dans ces structures collectives, qui sont « un des outils mis en avant par le gouvernement pour lutter contre la désertification médicale ».
La généralisation obligatoire du tiers payant avait été supprimée par Agnès Buzyn lors de la discussion du budget de la Sécu 2 018. S'appuyant sur un rapport de l'IGAS, la ministre avait jugé cette généralisation « techniquement pas faisable » dans les délais prévus. Un rapport est attendu avant fin mars sur la faisabilité technique d'un tiers payant intégral généralisable.
La profession réagit au quart de tour
Avant même la discussion de cette PPL en commission, tous les syndicats étudiants (ANEMF), d'internes (ISNI, ISNAR-IMG), de chefs de clinique (ISNCCA) et de jeunes médecins généralistes (ReAGJIR et SNJMG) s'étaient élevés ce mercredi comme un seul homme contre ce coup de canif. Cette PPL serait « un coup de plus porté à une médecine libérale déjà en souffrance et peinant à recruter de jeunes médecins », mettaient-ils en garde, en avançant un argument supplémentaire. « Il n'existe pas de zones surdotées en médecins en France, les centres urbains sont eux aussi en difficulté ».
Les jeunes étaient pareillement montés au créneau l'an passé, lorsqu'une ex-député socialiste Annie Le Houérou (Côtes-d'Armor) avait déposé un amendement plébiscitant le conventionnement sélectif des médecins, finalement rejeté. Pour les juniors, la situation actuelle est le fruit des « manquements » des politiques antérieures. « Ce n'est pas à la jeune génération d'en payer les conséquences », soulignent les futurs médecins.
Pas en reste, la CSMF a apporté son soutien aux jeunes médecins. « La coercition ne ferait que décourager encore plus les internes et jeunes médecins à s’installer en libéral, juge le syndicat. Il est primordial d’accompagner la restructuration de la médecine libérale, tant générale que spécialisée, autour des regroupements des professionnels ».
A MG France, le Dr Jacques Battistoni a épinglé « une erreur de diagnostic ». « Cela a pu réussir pour les infirmières, qui étaient très nombreuses, mais nous sommes de moins en moins nombreux. Est-ce en déshabillant 4 millions de Français [en zone surdense, selon le rapporteur] qu’on va rhabiller les plus de 60 millions restants ? »
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