Exercice libéral

Conventionner les remplaçants : l'arlésienne ?

Par
Publié le 11/06/2021
Article réservé aux abonnés
Depuis plus de 10 ans, les remplaçants souhaitent pouvoir signer la convention médicale pour profiter de ses avantages en matière de rémunération et de protection sociale. Même si les lignes bougent, ils se heurtent au refus de l'Assurance-Maladie.
A Orléans, les remplaçants ont plaidé pour leur pleine intégration à la convention

A Orléans, les remplaçants ont plaidé pour leur pleine intégration à la convention
Crédit photo : Léa Galanopoulo

C’est un combat de longue haleine du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), mais qui est loin d'être gagné : intégrer les médecins remplaçants à la convention médicale.

« Les remplaçants ne signent pas la convention, mais doivent la respecter ! Ils ne profitent pas de ses avantages, n’ont toujours pas d’espace dédié sur Amelipro, ni de rémunération directe… », a déploré le Dr Élodie Bour, ex-vice-présidente remplaçants, lors d’une table ronde organisée aux rencontres nationales de ReAGJIR, à Orléans.

Cette requête ne trouve toujours pas d'écho auprès de l’Assurance-maladie. « La convention médicale s’adresse aux médecins qui ont un cabinet, un lieu d’exercice déclaré », a rétorqué Julie Pougheon, directrice de l’offre de soins à la CNAM. À ses yeux, conventionner les remplaçants poserait notamment la question du calcul des rémunérations forfaitaires – dont la ROSP. « Comment partager cette rémunération entre le praticien installé et le médecin remplaçant, alors qu’il s’agit du même patient ? », s’interroge la responsable. Autre objectif avoué par la caisse : l'ancrage des médecins libéraux dans les territoires. « L’intérêt de la convention, c’est que les médecins s’installent et fidélisent une patientèle. Il faut qu'il reste des incitations à l'installation ! »

En otage 

Des arguments qui n’ont guère été du goût des jeunes médecins présents dans la salle, lors du congrès de ReAGJIR. « Prendre le conventionnement des remplaçants en otage, pour les pousser à s’installer n’est pas la bonne technique ! », a souligné le Dr Laure Dominjon, généraliste remplaçante dans le Val-de-Marne, ex-présidente de ReAGJIR*. 

Selon elle, un pool de remplaçants reste indispensable pour assurer la permanence et la continuité des soins. « Vous avez besoin de nous pour partir en vacances, ou quand vous êtes malades ! Si un jeune installé ne trouve pas de remplaçant, il ne va pas rester installé très longtemps », clame un généraliste qui multiplie les remplacements. « Le travail des remplaçants est un atout pour la santé mentale de tous les médecins », résume une généraliste bretonne qui peine à trouver, chaque année, un remplaçant pour les vacances d'été. Dans la salle, plusieurs praticiens installés confient ne même plus chercher à se faire remplacer, faute de candidats…

Les femmes plus exposées à la précarité

Trous dans la rémunération, protection sociale fragile, activité variable… « La précarité des remplaçants est réelle », alerte le Dr Laure Dominjon. Cette instabilité touche surtout les femmes, qui représentent 70 % des généralistes remplaçants. « En cas de congé maternité, elles touchent 700 euros par mois ! », pointe une généraliste fraîchement installée.

Or, le conventionnement permettrait aux remplaçantes de bénéficier de la même protection maternité que leurs consœurs (l'ASM est un avantage conventionnel de 3 100 euros par mois d’arrêt pour maternité ou adoption versé pour trois mois maximum). « Et ça ne veut pas dire qu’elles ne s’installeront pas, nous souhaitons juste qu’elles soient traitées de manière homogène », avance le Dr Laure Dominjon. Selon ReAGJIR, 10 % des remplaçants ont à cet égard un projet d'installation en cours.

Force de frappe

Le contingent des quelque 11 200 remplaçants s'est rendu incontournable. En moyenne, chaque remplaçant exerce 26 semaines par an et remplace six médecins. Deux tiers d'entre eux assument la permanence des soins. Un rôle renforcé pendant la crise sanitaire. « Les médecins non conventionnés [remplaçants et retraités, NDLR] représentent 20 % des intervenants en centre de vaccination. C’est une vraie force de frappe », concède Julie Pougheon (CNAM).

Pourtant, ces renforts précieux ont subi de plein fouet les conséquences de la crise. En avril 2020, les remplaçants ont essuyé une perte d’activité de près de 60 % en moyenne. Selon une enquête de ReAGJIR publiée mi-mai, 92 % d'entre eux déclaraient avoir été touchés financièrement lors du premier confinement et 68 % de ceux qui avaient des contrats prévus au printemps ont eu au moins un remplacement annulé… Las, le syndicat peine toujours à obtenir une compensation pour ces médecins. « Nous avons bon espoir qu'une aide puisse voir enfin le jour, après plus d'un an », confie Laure Dominjon.

Impliquer les « seniors » 

Alors que la négociation de la nouvelle convention est prévue à l'horizon 2022, l'horizon pourra-t-il s'éclaircir ? « Le remplaçant est un acteur de soin à part entière, nous attendons une décision politique », tranche Laure Dominjon. Une main a été tendue par la CNAM lors du congrès : accorder aux remplaçants l’accès à Amelipro. « Une expérimentation est en cours, qui pourrait être généralisée », indique Julie Pougheon.

ReAGJIR espère surtout créer, avec les syndicats séniors, un cadre de discussion favorable autour du conventionnement. De fait, « l’Assurance-maladie n’est pas la seule à décider du contenu de la convention », rappelle Julie Pougheon. « On ne pourra pas parler d’évolution de la convention sans discussion avec les médecins installés. Ce sont eux qui s’engagent vis-à-vis de leur patientèle », confirme le Dr Élisabeth Gormand, présidente de la commission « jeunes médecins » au sein de l'Ordre national. Elle aussi juge « nécessaire d’évoluer vers une égalité de traitement ».

* Le Dr Dominjon a été remplacée à la tête du syndicat par le Dr Agathe Lechevalier, jeune généraliste installée près de Toulouse

Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin