DE NOTRE CORRESPONDANT
UN LOCAL de 165 m2, deux salles de consultation, deux salles d’attente, un secrétariat, des toilettes accessibles pour les personnes handicapées : le centre de santé qui a ouvert début octobre dans la ville de Fougères (25 000 habitants, à 40 km de Rennes) a tous les attributs d’un cabinet médical moderne et ambitieux. Il est abrité dans les locaux d’une ancienne clinique déjà occupée notamment par un cabinet de kinésithérapeutes, un dermatologue, un psychiatre, une allergologue, un cardiologue et une podologue. Pour le moment, seule une médecin généraliste y reçoit. Mais, ses promoteurs - le directeur du centre hospitalier et le maire - espèrent que les annonces passées dans la presse spécialisée permettront un second recrutement salarié avant la fin de l’année.
Zone fragile
Il y aurait urgence, à écouter les premiers retours du médecin déjà en poste. « Sur les trois premiers jours de consultation, j’ai vu des personnes qui n’avaient plus de médecin traitant, certains depuis plusieurs années, c’est-à-dire depuis que leur médecin habituel est parti en retraite, raconte le généraliste (1) qui occupait jusque-là un poste de gériatre au centre hospitalier. Le centre de santé répond donc bien à une demande. »
Personne ne doutait de la nécessité de renforcer l’offre de médecine générale, même si la ville n’est pas en zone déficitaire. Le nombre de généralistes n’a fait que baisser depuis deux ans : ils étaient 22 en janvier 2011, 19 en septembre de la même année et 15 le mois dernier, selon le décompte de Lucie Gely, chargée de mission auprès du maire de Fougères, Louis Feuvrier. « Quatre médecins ont cessé leur activité en un an sans trouver de remplaçant, précise la collaboratrice du maire. Plusieurs habitants ont sollicité le maire à ce sujet, certains d’entre eux avaient des problèmes de remboursement dus au fait qu’ils n’avaient plus de médecin traitant. Des médecins débordés nous ont alertés aussi. Ils comprennent qu’une réponse doit être apportée aux inquiétudes des habitants, même si aucune initiative locale ne peut régler le problème de fond. Seule une solution nationale pourra y parvenir. »
« Toute solution est bonne »
La réflexion a rapidement abouti à l’idée d’un centre de santé. « À la CSMF, nous avions réuni les médecins, se souvient le Dr Hervé Le Néel, président de l’URPS médecins de Bretagne. Il n’existait pas de dynamique collective. En même temps, les inquiétudes étaient réelles chez les médecins. Le départ en retraite de certains met en danger des cabinets qui peuvent passer de 5 à 3 médecins, avec des charges fixes qui ne baissent pas. L’âge moyen des médecins de Fougères n’est pas favorable non plus. Dans ce contexte, le projet de centre de santé a reçu un assentiment plutôt passif de la majorité des médecins, il faut bien le reconnaître. »
Le pragmatisme a donc prévalu. Pour le Dr Jean-Marc Leclercq, généraliste à Fougères, 63 ans et proche de la retraite, « toute solution est bonne quand des malades ont des difficultés pour trouver un médecin ». « Je pense que l’érosion va continuer et que ce type de solution va se développer, explique-t-il. Pas d’investissement, la possibilité de repartir quand on veut, un temps de travail maîtrisé. Il y a quelques années, j’aurai pu opter pour un tel système. »
La commune assume le loyer
Le centre de santé repose sur une organisation inédite puisque c’est l’hôpital qui porte la structure (équipement, liaisons avec l’assurance-maladie, recrutement...). « Le CH est concerné par tout ce qui touche à la santé, assume Patrice Ablain, le directeur. Nous avons considéré que le CH était mieux armé qu’une ville pour gérer le centre. Nous avons des services qui peuvent s’occuper de certaines tâches, comme la facturation, l’approvisionnement en petit matériel ou le recrutement des médecins et de la secrétaire. »
La commune prend à sa charge le loyer et les charges locatives. « C’est une aide au démarrage, le centre a vocation à trouver son équilibre financier », souligne la collaboratrice du maire.
Mais de nombreuses questions se posent. « Qui va payer en cas de déficit ? demande le président de l’URPS médecins libéraux. Comment le budget va-t-il être calculé ? Prend-on seulement en compte la rémunération des médecins ou l’ensemble des charges, ce qui serait plus juste ? »
5 500 euros nets
Selon le directeur du CH, le salaire du médecin s’élève à 4 500 euros bruts, auxquels il faut ajouter une commission de 12 % sur les actes. Calculé sur une moyenne de 32 consultations par jour, le salaire devrait atteindre 5 500 euros nets...
Le dispositif, qui introduit une forme de concurrence avec la médecine de ville, soulève au minimum quelques interrogations, parfois des doutes. Le Dr Le Néel prévient qu’il faudra une évaluation financière. Le Dr Laurence Idlas-Nouveau, médecin généraliste à Fougères, fait valoir que ce salariat sera souvent supérieur à la rémunération d’un praticien de ville. « Quid de la médecine libérale ?, s’interroge-t-elle. Plus on proposera de postes salariés, moins on trouvera de confrères libéraux. Comment va-t-on parvenir à pérenniser nos structures ? En 1992, c’était difficile de s’installer, on disait : il y a trop de médecins. Aujourd’hui, nous ne sommes plus assez et on crée des postes salariés. J’ai l’impression qu’on détricote mon travail sans qu’un débat public ait lieu sur le sujet ! »
(1) Le médecin du centre de santé souhaite garder l’anonymat.
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