ADOPTÉ la semaine dernière, quasiment sans débat, à l’initiative des rapporteurs UMP Yves Bur et Jean-Pierre Door, un amendement au PLFSS 2010 soulève une vague d’hostilité dans la profession. Cet article prévoit « lorsqu’il existe plusieurs alternatives médicamenteuses à même visée thérapeutique » que « le médecin prescrit un traitement médicamenteux figurant au répertoire des groupes génériques, à moins que des raisons particulières tenant au patient ne s’y opposent » (raisons non précisées par le législateur au demeurant) . Obligation? Incitation poussée? Les médecins récalcitrants en tout cas s’exposeront à une sanction de leur caisse locale sous la forme de la mise sous entente préalable de leurs prescriptions.
L’objectif, sur le papier, est assez simple. Il s ’agit lorsque le traitement le permet de combattre le déplacement des prescriptions vers des médicaments en dehors du répertoire des génériques, phénomène que l’asurance-maladie juge « particulièrement marqué » dans notre pays. Quelques dizaines de millions d’euros par an seraient en jeu. Trop souvent en effet, argumentent les rapporteurs, les praticiens privilégient, dans une classe thérapeutique, les médicaments récents (que le pharmacien ne peut pas substituer) plutôt que les molécules plus anciennes déjà génériquées. Lors du débat dans l’hémicycle, le député alsacien Yves Bur a cité « l’exemple le plus emblématique, celui du Mopral » (oméprazole), un antiulcéreux du laboratoire AstraZeneca dont le brevet est tombé dans le domaine public en 2004. Ce même laboratoire avait anticipé la venue des génériques en commercialisant un nouveau médicament, l’Inexium, qui a percé de façon spectaculaire sur le marché des antiulcéreux. Beaucoup d’autres exemples existent. Pour Jean-Pierre Door, « orienter les prescriptions vers le répertoire des génériques permettra des économies très conséquentes pour l’assurance-maladie, à qualité de traitement égale pour les patients ».
Après l’engagement des pharmaciens à accroître les taux de substitution (82 % aujourd’hui), après la disposition « tiers payant contre générique » qui oblige les patients à accepter un générique pour bénéficier de la dispense d’avance des frais, après la possibilité de prescription en dénomination commune (peu utilisée), et tout récemment la mise en place des CAPI (contrats individuels au mérite qui comportent des objectifs chiffrés de prescription dans le répertoire générique), il ne s’agirait donc que d’une énième mesure visant à « booster » le marché des génériques (qui ne représente que 11 % du chiffre d’affaires du médicament en France et seulement 22 % des boîtes).
« Pathétique » et « scandaleux ».
Une mesure de plus ? Pas si simple… Les syndicats de médecins libéraux condamnent à l’unisson ce dispositif attentatoire, selon eux, à l’un des fondements de l’exercice libéral : la liberté de prescription.
« Le choix d’un médicament ou d’un autre relève de la responsabilité de chaque praticien dans l’intérêt de ses patients bien loin des préoccupations de l’assureur qui n’a d’autre intention que de permettre d’éventuelles nouvelles économies » accuse MG-France. Son président, le Dr Martial Olivier-Koehret, fustige une mesure qui, si elle était définitivement adoptée, risque de « pourrir la vie des médecins généralistes » pour une économie « dérisoire ». Même son de cloche, pour une fois, à la CSMF, qui dénonce « l’encadrement inacceptable de la pratique médicale » et une « ingérence dans la politique conventionnelle ». Pour le Dr Michel Chassang, président de ce syndicat, cet article n’a « ni queue ni tête ». « Qui autorise la sortie des nouveaux médicaments ? Qui a autorisé la sortie de l’Inexium ? Pas les médecins, que je sache ! Sous prétexte qu’ils ne prescrivent pas dans le répertoire, les généralistes pourraient se voir imposer une procédure humiliante d’entente préalable, c’est à la fois inapplicable et scandaleux ». Ce texte serait également « en totale contradiction » avec la politique actuelle du générique qui repose sur le droit de substitution accordé aux pharmaciens. Pour le Dr Claude Bronner, coprésident d’Union Généraliste (UG), « il y a un problème technique : si la prescription des génériques devient obligatoire [ce n’est pas ce que dit formellement le texte qui prévoit des nécessités particulières tenant au patient, NDLR] , on peut jeter le princeps ! ». Consternation aussi au SML. « C’est un amendement pathétique qui ne sert à rien, juge le Dr Christian Jeambrun. On aura du mal à expliquer aux médecins qu’un médicament qui a été autorisé sur le marché ne doit plus être prescrit. Et pour le reste, très peu de médecins mentionnent " non substituable ". »
Du côté des « génériqueurs » en revanche, on accueille très favorablement l’adoption de cet article. « On est en train de passer du générique " recours " au générique " préférence ", c’est très bien. Plus les médecins seront impliqués, mieux ce sera », déclare Hubert Olivier, vice-président de Gemme (qui réunit la quasi-totalité des laboratoires de médicaments génériques).
Reste à savoir si cette disposition, que Roselyne Bachelot n’a pas repoussé à l’Assemblée nationale, franchira le cap du Sénat. La Haute Assemblée examinera le PLFSS dès la semaine prochaine et il est probable que le débat sur la nécessité de prescrire en génériques, sanction éventuelle à la clé, aura lieu.
L’Académie pointe les disparités de l’offre de soins en cancérologie
Un carnet de santé numérique privé ? L’onglet de Doctolib jette le trouble, jusqu'au ministère
Le retour à l’hôpital d’une généraliste après 25 ans de libéral
AP-HP, doyens, libéraux : pourquoi le secteur médical quitte X (ex-Twitter) au profit de Bluesky ?