L’ÉTUDE menée par Marion Ladevèze, généraliste à Rennes, et Gwenola Levasseur, professeur de médecine générale (université Rennes-1), montre bien le rôle central du généraliste dans l’accompagnement du patient en fin de vie. Le philosophe Pierre Le Coz considère d’ailleurs que l’attitude du médecin face au mourant a « un rôle de modèle » pour les proches. C’est le « savoir-être » du médecin qui est sollicité, non plus son savoir-faire.
À travers une enquête menée en juin et juillet 2008, auprès de libéraux installés en Ille-et-Vilaine, les deux auteurs ont voulu savoir ce qui reste peu connu : la façon dont les médecins vivent ces décès. Sur les 17 professionnels contactés, 10 ont répondu favorablement. Dans 4 cas, la secrétaire a refusé l’entretien, « dont deux fois sans poser la question au médecin ». Le refus est principalement justifié par une surcharge de travail. Le manque d’expérience a également été opposé : le médecin n’était installé que depuis un an. Les enquêtrices ont procédé à des entretiens semi-directifs faits en face à face, au cabinet du praticien, afin de « favoriser un récit ».
Le premier constat est que les médecins s’expriment volontiers sur ce sujet, mais avec des sentiments contrastés. La tristesse domine, face à d’autres émotions telles que l’incompréhension, la surprise lorsque le décès est brutal ou l’injustice devant la mort d’un patient jeune. La culpabilité règne dans les discours, qu’il s’agisse d’un décès suite à un changement de thérapeutique, d’une « incapacité à pouvoir en faire plus » ou de ne pas avoir été présent « au bon moment ». La peur de la faute professionnelle, reflet de la « solitude angoissante du médecin » décrite par Pierre Le Coz, est également évoquée.
Le vécu varie évidemment beaucoup en fonction des circonstances du décès et des liens préalablement tissés avec le patient. Il y a la fierté de son métier, comme l’évoque un des médecins : « Parfois, le sentiment quand même d’un travail correctement fait. Et ça, c’est rassurant. Et même dans la mort, trouver une satisfaction d’avoir correctement accompagné les personnes et leur famille. »
L’attitude des proches joue un rôle majeur : l’expression de la reconnaissance rassure, voire gratifie, même si beaucoup de praticiens constatent que les familles changent de généraliste après un décès. « Dans certaines formations, on m’avait dit que souvent, quand un patient décédait, on perdait la famille, entre guillemets, enfin, on la perdait, c’est-à-dire qu’elle allait voir un autre médecin », indique l’un d’entre eux.
Trouver la bonne distance.
Tous, et c’est là que le bât blesse selon les auteurs, ne reçoivent pas un enseignement adéquat car la formation initiale des médecins « occulte complètement, ou quasi complètement, cette dimension de la pratique ». L’apprentissage autodidacte est donc incontournable mais les médecins pourraient préalablement disposer de « quelques clés leur permettant de comprendre, par exemple, les différentes pratiques et conceptions de la mort d’un point de vue socioculturel, ou encore de bases de psychologie indispensables à l’accompagnement au deuil ». « Cela leur permettrait de trouver la "bonne distance" par rapport aux situations qu’ils rencontrent et à ce qu’ils vivent », poursuivent les auteurs.
Dans l’enquête, les médecins disent se protéger en établissant des barrières entre leurs vies privée et professionnelle. Certains pensent que les expériences vécues leur apportent un savoir-faire et une relative mise à distance. D’autres, au contraire, doutent de l’effet protecteur de l’expérience. Mais, globalement, les médecins rencontrés semblent « à la fois peu outillés et singulièrement seuls face au décès de leurs patients. Ils bénéficient rarement d’un soutien qu’il s’agisse de celui de proches ou de celui de leurs collègues », notent les enquêtrices. Cela vaut même pour certains médecins qui travaillent en groupe : « Parfois on en parle quand c’est "Untel, as-tu su qu’il était décédé ?", voilà. Donc, ça, ça ne va pas très loin », raconte un praticien.
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