L’ASSURANCE-MALADIE est malade de ses recettes. Le chômage grimpe, les salaires ne progressent plus. Résultat aussi imparable que mécanique : les cotisations des salariés, qui alimentent pour l’essentiel les caisses de la branche maladie et plus largement celles de la Sécu, dégringolent.
Pour redresser la barre, le gouvernement a déjà fait savoir qu’il ne souhaitait pas, CSG en tête, augmenter les prélèvements sociaux – et donc toucher aux recettes. Suite logique du raisonnement (dans la mesure où il devient difficile de rester les bras ballants au bord d’un gouffre de 10 milliards d’euros (pour la seule maladie, voir graphique) : c’est du côté des dépenses que, ainsi que l’a révélé « le Journal du Dimanche » le week-end dernier, les pouvoirs publics vont rechercher des marges d’économie, escomptant y grappiller ainsi entre 2 et 2,5 milliards d’euros.
L’opération passera par un ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance-maladie) serré l’an prochain, contenu autour de + 3 %. Elle ciblera en prime quelques secteurs précis. Quarante pistes sont pour l’instant à l’étude, selon le ministre du Budget Éric Woerth, parmi lesquelles ont filtré : une forte hausse du forfait hospitalier, une baisse de taux de remboursement pour certains médicaments à prescription médicale facultative (PMF), une baisse de prix des génériques, une révision de la clause de sauvegarde appliquée à l’industrie pharmaceutique. Les indemnités journalières et les transports sanitaires sont également dans le collimateur. De nouvelles baisses tarifaires seraient à l’étude pour certaines spécialités médicales. L’idée ressurgit par ailleurs d’un plafonnement de la prise en charge des cotisations sociales des praticiens du secteur I. Enfin, une augmentation du prix du tabac est à l’étude.
Effort de guerre.
Mauvais coup pour les ménages, s’est immédiatement emportée la gauche – le PS a suggéré au gouvernement de soumettre à la CSG les revenus financiers plutôt que de pénaliser les assurés ; le Parti communiste a quant à lui dénoncé un « impôt pesant sur les malades ». Syndicats et associations de patients ont vite pris leur place dans ce chur et crié au désengagement de l’État sur le dos des patients.
Mais ceux-ci ne sont pas les seuls à qui le gouvernement demande de contribuer à l’effort de guerre : l’industrie du médicament, les mutuelles et les médecins libéraux sont enrôlés. Tour d’horizon.
• Médecins de ville : cocktail amer ?
Une partie de l’ardoise sur laquelle planche Bercy concernera la médecine de ville. Lors de la dernière réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale, le gouvernement avait brossé un train de mesures, toujours à l’étude, mais qui pourrait être complété.
Pour rester dans les clous d’un objectif « soins de ville » qui sera forcément serré (voir encadré), le gouvernement entend accentuer ses efforts sur la maîtrise de la dépense. Il veut stopper la « dérive » des indemnités journalières (IJ) et des frais de transports, deux postes qui connaissent une croissance d’environ 7 % sur les premiers mois de 2009. D’ores et déjà, la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) a été priée de renforcer sa politique de contrôles (lettres d’avertissements aux gros prescripteurs, mise sous accord préalable de 150 médecins supplémentaires cette année, application stricte de référentiels). À l’étude également : la généralisation de l’expérimentation de la contre visite de l’employeur qui existe déjà dans certains départements. Sur la maîtrise médicalisée, Éric Woerth (Bercy) et Roselyne Bachelot (Santé) ont prévenu qu’ils ne se contenteraient pas d’un taux de réalisation de 60 % des objectifs (de nouveaux référentiels médicoéconomiques de la Haute Autorité de santé doivent y aider).
Des décotes dans les cartons.
Si elles se concrétisent, certaines mesures chocs envisagées pour la profession risquent de faire grand bruit. En juin, Roselyne Bachelot a évoqué la « nécessaire » réduction de tarifs de « certaines spécialités médicales ». Une piste également retenue par la CNAM en juillet parmi ses recommandations visant à réaliser deux milliards d’économies. Les syndicats de spécialistes redoutent donc des décotes arbitraires. L’UMESPE (spécialistes de la CSMF) prévient qu’elle refusera le « retour de la maîtrise comptable dirigée vers quelques spécialités, radiologues, médecins nucléaires, médecins biologistes, rhumatologues, cardiologues interventionnels voire anesthésistes ». Les tarifs de la dialyse pourraient également être « ajustés ». Ce n’est pas tout. La caisse a suggéré dans son plan d’économies de « plafonner » la prise en charge des cotisations sociales des médecins de secteur I. Les revenus se situant au-dessus du seuil de 100 000 euros seraient exclus de l’assiette de prise en charge des cotisations maladie. Mais cette disposition qui fâche est loin d’être arbitrée. Enfin, le gouvernement étudie la possibilité de « raboter » certains fonds financés par l’assurance-maladie, comme le FICQS (Fonds d’intervention pour la coordination et la qualité des soins), en fonction des marges disponibles.
Par ailleurs, même si cette mesure ne procure pas d’économies pour la Sécurité sociale, la régulation des dépassements d’honoraires risque de devenir un enjeu politique fort des prochaines semaines.
D’autant que si des efforts financiers sont réclamés aux assurés, le gouvernement pourra utiliser cet argument pour expliquer que les médecins sont également mis à contribution. Déjà, cinq syndicats de retraités qui préparent une journée d’action le 16 octobre sur le maintien du pouvoir d’achat plaident pour « la publication rapide de mesures concrètes mettant fin aux dépassements abusifs ».
• Les patients hérissés par la hausse du forfait hospitalier.
Le relèvement du forfait hospitalier – il est envisagé de le porter de 16 à 20 euros – est l’une des mesures phares du plan d’économies du gouvernement. L’opération est censée rapporter près de 400 millions d’euros. « C’est une piste parmi d’autres pour protéger la Sécurité sociale, a indiqué Éric Woerth, ministre du Budget . Une hausse d’un euro du forfait hospitalier représente 80 millions d’euros ». La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a jugé qu’un « rattrapage sur le forfait hospitalier ne serait pas illégitime », ce dernier n’ayant pas été augmenté depuis trois ans, tout en estimant qu’une hausse de 4 euros lui semblait pour sa part « très élevée ». Créé en 1983 par le Parti socialiste, le forfait hospitalier à l’origine d’un montant de 20 euros a été porté à 16 euros en janvier 2007. Le ministre du Budget a réaffirmé que plusieurs catégories d’assurés, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, continueraient d’être exonérées de ce forfait : les femmes dans les 4 derniers mois de leur grossesse ou qui viennent d’accoucher, les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaires, les bébés de moins d’un mois… La hausse du forfait hospitalier a déclenché une salve de réactions de l’opposition qui redoute notamment qu’elle pèse sur les épaules des malades et « pénalise ceux qui sont dans les situations les plus difficiles ».
Les patients redoutent d’être mis fortement à contribution. « Ainsi donc continue le travail de sape de la couverture solidaire créée au lendemain de la seconde guerre mondiale », commente le collectif interassociatif sur la santé (CISS) qui redoute qu’il ne reste bientôt « plus grand-chose du principe constitutionnel d’égalité d’accès aux soins de tous ». Le président de l'Union nationale des caisses d'Assurance-maladie (UNCAM), Michel Régereau, a pour sa part souligné « les effets pervers de cette mesure, notamment pour les patients hospitalisés qui ne bénéficient pas d’une assurance complémentaire et ceux dont la prise en charge est plafonnée par leur complémentaire ». Le régime local d'assurance-maladie d'Alsace-Moselle s'est de son côté dit « très opposé au projet d'augmentation du forfait hospitalier de 25 % ». « En Alsace-Moselle le forfait hospitalier est intégralement pris en charge par le régime local, explique Daniel Lorthiois, président du Conseil d'administration du régime d’Alsace-Moselle. Si ce forfait augmentait, l'accroissement de charges pour le régime local serait de l'ordre de 13 à 14 millions d’euros par an, soit à peu près une augmentation générale de 3 %. »
• Le médicament à la diète généralisée.
Toutes les pistes possibles ou presque sont avancées par les pouvoirs publics pour mettre à la diète l’industrie du médicament. L’opération « veinotonique » menée en 2006 pourrait être reconduite avec une partie des médicaments à prescription médicale facultative (PMF). Aujourd’hui remboursés à 65 ou à 35 %, ces médicaments ne seraient plus pris en charge, quand ils sont prescrits, qu’à 15 %. Parmi les spécialités visées, la pharmacopée homéopathique mais aussi des molécules emblématiques comme l’aspirine et le paracétamol ont été citées. Mais sur ce point, le gouvernement a déjà brouillé un peu les cartes : Roselyne Bachelot a fait savoir dès dimanche qu’elle ne considérait pas comme « une bonne idée » de dérembourser aspirine ou paracétamol. Également dans les tuyaux (l’idée avait été avancée également par la CNAM en juillet) : une baisse de prix de certains génériques – la Caisse plaidait pour sa part pour une procédure de mise en concurrence dans certains groupes. Enfin, la clause de sauvegarde (ou « taux K ») appliquée à l’industrie pharmaceutique – c’est-à-dire le taux au-delà duquel les industriels doivent rétrocéder une partie de leur chiffre d’affaires – pourrait passer de 1,4 % à 1 % (en 2008, cette taxte a rapporté 214 millions d’euros à l’assurance-maladie)/.
• Mutuelles : un fardeau plus lourd ?
Parmi les mesures envisagées pour réduire le déficit de la Sécurité sociale, certaines risquent de se répercuter directement ou par ricochet sur les organismes complémentaires santé (mutuelles, assureurs, institutions de prévoyance). La hausse du forfait hospitalier ? Quelle que soit son ampleur (un euro d’augmentation représente plus de 80 millions d’euros), les mutuelles auront du mal à refuser d’assumer le remboursement car il ne s’agit évidemment pas d’une dépense de confort. « Les patients ne sont pas à l’hôpital par plaisir », observe-t-on à la Mutualité française où l’on attend les arbitrages définitifs pour organiser la riposte (Roselyne Bachelot recevra jeudi Jean-Pierre Davant, président de la FNMF).
Quelle serait, ensuite, la réaction des complémentaires face à une baisse du taux de remboursement des spécialités à « vignette bleue », disponibles sans ordonnance ou remboursées à 35 % lorsquelles sont prescrites ? Si cette mesure se concrétise, avec un taux qui tomberait à 15 %, la stratégie des mutuelles, et a fortiori des assureurs, sera plus difficile à arrêter. Jusqu’à présent, lorsque le gouvernement opérait des déremboursements de médicaments pour service médical rendu insuffisant, la stratégie mutualiste était de ne pas compenser (en invoquant l’expertise négative de la Haute Autorité). Mais cette fois, les choses pourraient être plus compliquées car la nature des médicaments concernés (aspirine, paracétamol, homéopathie…) pourrait convaincre les complémentaires, dans un contexte concurrentiel, de prendre le relais de l’assurance-maladie.
Enfin, l’an passé le gouvernement avait réservé un sort particulier aux complémentaires en les taxant d’un milliard d’euros. « Cette contribution, ce n’est pas un one shot », a déjà prévenu Éric Woerth (Budget), en juin dernier, lors de la réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale.
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