LE QUOTIDIEN – Quelle est la situation démographique des ophtalmologistes ?
Dr JEAN-BERNARD ROTTIER – Depuis quelque temps, nous sommes sur un plateau, à 5 500 ophtalmologistes, mais nous allons en perdre 1 500 au cours des dix prochaines années. En 2020, nous serons donc 4 000. Parallèlement, nous faisons face à une forte augmentation de notre nombre d’actes. Quand on en effectue aujourd’hui 32 millions à la louche, les prévisions tournent autour de 42, 45 millions en 2020. Nous devrons donc alors faire face à un déficit de 13 à 15 millions d’actes.
Y a-t-il des statistiques disponibles précises sur l’évolution du délai moyen de rendez-vous ?
Il y a d’énormes disparités régionales mais ce délai va augmenter de façon drastique dans les dix ans qui viennent. L’Île-de-France, par exemple, une région extrêmement dense aujourd’hui, où il n’y a pas de délai d’attente, va perdre 600 ophtalmos sur cette période…
Vous décririez-vous comme les pionniers de la délégation de tâches ?
On peut le dire ! Nous avons été les seuls en libéral à participer aux premières expérimentations « Berland ». On réfléchit à cette question depuis l’an 2000.
Pourquoi ce partage est-il si compliqué ?
Il n’est pas évident parce que les paramédicaux ont cette impression qu’on va les faire revenir sous la coupe des médecins, ce qui représente pour eux un retour en arrière. Or c’est complètement faux : on travaille sur des nouvelles tâches, avec de nouveaux protocoles. C’est un nouveau champ qui s’ouvre à eux. Évidemment, les paramédicaux ne peuvent se voir déléguer ces tâches en autonomie complète. Parce qu’on transfère des choses importantes et qu’on les transfère vite. J’insiste sur ce point : il y a une contrainte de temps qu’il faut vraiment prendre en compte. Et du coup, pour mettre en œuvre de telles évolutions d’organisations et de cultures, il faut beaucoup de bonne volonté, de pragmatisme. On ne peut pas avancer sur fond de guerre idéologique.
Les dispositions de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) relatives aux coopérations changent-elles la donne pour vous ?
L’article 51 [voir encadré] de cette loi est vraiment une bombe. Il instaure quelque chose de très puissant, amené à dynamiter toutes les frontières entre les professions. Pour cette même raison, il est aussi très dangereux. Ce qui est assez astucieux dans le dispositif arrêté, c’est la régionalisation des coopérations car, effectivement, les situations sont localement très variables. Dans les endroits où les médecins sont en haut de la vague démographiques, ils perçoivent les projets de délégation de tâches comme une menace. En revanche, chez les « déficitaires », on y voit une opportunité. Cela rejoint notre philosophie, qui se veut très pragmatique et qui considère que les médecins doivent être laissés au centre du système et déléguer dans un cadre protocolisé assorti d’un contrôle, d’objectifs. Le gros problème reste le financement.
On ne fait pas donc d’économie avec les délégations de tâches ?
Plus il y a de professionnels, plus on met d’argent sur la table. Le but de l’opération n’est pas de diminuer le revenu du médecin, le paramédical vient en plus. Le payer va coûter moins cher que si on avait formé un médecin. Mais c’est la seule économie qui est faite dans l’opération.
Parmi les professionnels « délégués » par les ophtalmologistes, on cite souvent les orthoptistes. Au programme de votre colloque, il y a aussi les généralistes. Sont-ils demandeurs ?
C’est la question que nous allons poser demain à notre invité [Martial Olivier-Koerhet, ancien président du syndicat MG-France, NDLR]. Je ne suis pas certain que les généralistes soient demandeurs mais nous, nous avons besoin de cerveaux. En médecine, il n’y a pas de passerelle entre les spécialités. Or on constate que des généralistes cherchent à faire autre chose au bout de plusieurs années d’exercice. Pourquoi ne pas leur construire une passerelle pour devenir ophtalmologiste ? C’est avec cette idée que nous pensons à eux, plutôt qu’en termes de délégation de tâches.
Le modèle de maisons de santé pluridisciplinaires, de plus en plus cité comme une solution aux problèmes de démographie médicale, peut-il s’appliquer aux ophtalmos ?
Son usage est forcément pour nous très limité. Un ophtalmo a besoin d’un plateau technique de 33 000 euros pour bien travailler. S’il ne le fait pas tourner, c’est du gâchis. Nous pensons plutôt à des gros cabinets d’ophtalmologie installés dans des villes moyennes et qui serviraient de base arrière à des orthoptistes.
Avez-vous été auditionné par le député Laurent Hénard, qui pilote depuis juin une mission sur les nouveaux métiers de la santé ?
Oui mais concernant ces nouveaux métiers, il existe différents niveaux. Certains peuvent être créés ex nihilo. Nous sommes plutôt dans un registre d’élargissement des zones de compétence des métiers qui nous entourent. Cela s’est d’ailleurs déjà fait en 2007 pour les orthoptistes.
(1) « Première Journée du SNOF, la délégation de tâches en ophtalmologie », Hilton Paris-Orly, 8h30-17h30.
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