LE CONSEIL NATIONAL de l’Ordre des médecins (CNOM) a indiscutablement une lecture plus critique de la convention médicale que les syndicats de médecins libéraux. La section « Exercice professionnel » présidée par le Dr André Deseur a examiné attentivement les quelque 200 pages de l’accord et ses annexes. Dans une synthèse, elle épingle les dispositions qui lui semblent être un recul par rapport aux précédents accords conventionnels. Le document a été approuvé à l’unanimité en séance plénière par le CNOM. Le Dr Michel Legmann, président de l’Ordre, l’a transmis au ministre de la Santé. Dans une lettre à Xavier Bertrand, il fait part de ses vives réserves devant la complexité de la convention et les entorses à la déontologie que pourraient entraîner les nouveaux modes de rémunération à la performance.
• La « révolution insidieuse » du P4P
Le paiement à la performance, qui doit entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2012, n’est pas du goût de l’Ordre. « Nous entrons dans un système qui n’offre pas de visibilité au cabinet libéral, commente le Dr André Deseur, porte-parole du CNOM. Les médecins ne sauront pas combien ils gagneront exactement l’année suivante. Il leur sera difficile d’anticiper sur la gestion de leur activité. » Selon l’assurance-maladie, les généralistes empocheront en moyenne 4 500 euros par an. « Si l’on retranche la part imposable, on achète l’indépendance professionnelle des médecins pour 200 euros par mois », fustige le Dr Deseur. Le CNOM craint par ailleurs que la charge administrative du médecin ne s’alourdisse avec la paperasse à remplir pour justifier la tenue des objectifs.
• La perte de confiance des patients
Après les épisodes de la vaccination contre la grippe A et l’affaire Mediator, le porte-parole de l’Ordre redoute l’accentuation de la crise de confiance entre les patients et les professionnels de santé que peut provoquer un intéressement financier lié à la tenue d’objectifs. « Les patients vont être amenés à se demander si un médicament leur est prescrit parce qu’il est bon ou parce qu’il va permettre à son médecin de toucher son treizième mois », souligne le Dr Deseur. L’obligation de résultats pourrait entraîner chez certains praticiens la tentation de sélectionner leurs patients selon leur état de santé. Le CNOM reçoit déjà des courriers de patients inquiets de cette disposition.
• Des options démographiques sans audace
L’Ordre déplore que les mesures conventionnelles prises pour améliorer la répartition de l’offre de soins sur le territoire soient quasi identiques à celles de 2005. « Elles n’ont pas permis d’amorcer la réduction des disparités territoriales, note le Dr Legmann. Il est regrettable que les leçons du passé n’aient pas été tirées. »
• Refus de soins
Les refus de soins relevaient jusqu’à présent de la déontologie médicale. La loi en vigueur prévoit que les caisses saisissent le CNOM de tout comportement contraire à la déontologie. Une commission mixte entre le conseil départemental de l’Ordre et l’assurance-maladie devait voir le jour. Sa mise en œuvre nécessitait un décret d’application qui n’est jamais paru. L’Ordre s’offusque que les refus de soins intègrent dorénavant la convention et soient « mis à la main des commissions paritaires locales (CPL) et du conciliateur de la caisse ».
• L’intrusion dans l’organisation du cabinet.
Les médecins seront encouragés à utiliser des logiciels d’aide à la prescription certifié. « Le médecin devra-t-il attester sur l’honneur qu’il utilise le logiciel ? Jusqu’où l’assurance-maladie ira-t-elle dans son contrôle ? »
Les modèles types d’arrêts de travail préremplis sont considérés comme une intrusion dans la vie du médecin. « Pour un lumbago, l’arrêt de travail dans ces ordonnances est de 3 jours. Quand un médecin mettra 10 jours et qu’il sera contrôlé deux ou trois fois, il mettra finalement 3 jours et demandera à son patient de revenir », commente André Deseur, qui dénonce la pression mise sur le médecin. Les praticiens sont encouragés à avoir une plage de consultation libre, sans rendez-vous. « Cela va allonger les files d’attentes de rendez-vous de certains praticiens », affirme le Dr Deseur.
• DPC : les médecins dépossédés
Selon le CNOM, le choix des thèmes de DPC va reposer sur des critères économiques et non sur les besoins réels de formation des médecins. Le Dr Deseur n’hésite pas à évoquer un « conflit d’intérêts ». « Tout médecin quelle que soit sa pratique doit pouvoir avoir accès à des actions formatives, variées et adaptées », indique l’Ordre.
• Les syndicats mis en cause
Le Dr Deseur estime que trois moteurs ont joué dans la signature de la convention par les syndicats de médecins libéraux (CSMF, SML, MG-France et bientôt FMF) : la sauvegarde du régime de retraite ASV, l’assurance de régler la question du secteur optionnel et les financements apportés aux syndicats signataires. « Les syndicats sont déconnectés de leur base », estime le Dr Deseur, qui relève que MG-France Bretagne s’est désolidarisée de la signature de sa centrale. « Nous rentrons dans une médecine administrée, une médecine de caisse qui va s’apparenter aux HMO (health maintenance organization). Je ne suis pas convaincu que ce soit le meilleur des systèmes. »
Les observations du CNOM n’ont qu’une valeur consultative et certaines d’entre elles pourront paraître excessives. Elles tranchent toutefois singulièrement avec l’enthousiasme des syndicats signataires. Ces commentaires illustrent toutefois, si besoin en était, la difficile tâche qui attend les partenaires conventionnels pour « vendre » la convention médicale à leurs confrères dans les prochaines semaines.
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