La santé en librairie
PEUT-ON réduire l’épreuve de la maladie à une série de signes cliniques censés être objectifs, neutres et rationnels ? Quelle est la place du malade au sein de l’hôpital ? Qu’est-ce que soigner ? À l’heure où l’organisation de la médecine vit de grands bouleversements, où les questions financières et administratives prennent de plus en plus le pas sur la question du malade et de sa maladie, cette interrogation éthique essentielle paraît presque désuète quand elle ne sert pas le discours creux des communicants ! Elle constitue pourtant la pierre angulaire de nos métiers. Si bien que les « soignants » ont tout à gagner à entendre les analyses et à recevoir les enseignements de la philosophie sur le sujet.
Prendre en compte l’extrême vulnérabilité dans laquelle plonge la maladie, penser le soin, tenter d’en définir son cadre sont complémentaires de la technique médicale. « La nécessaire expertise du faire des soins exige d’être reprise dans la compétence éthique du prendre soin », explique longuement Jean-Philippe Pierron. Si l’essence du soin et sa qualité s’appuient sur le sensible, vivent sous la bannière de l’hospitalité à l’égard d’un autre « dont l’altérité se fait entendre dans les mots de l’altération physique ou mentale », elles ne sauraient être confondues avec le bon sentiment. L’auteur, philosophe et enseignant, s’emploie à le montrer.
Soin, laïcité et spiritualité.
D’une certaine façon, le soin étant « le révélateur du refoulé d’une médecine technicienne, dans un cadre sécularisé », il invite à expliciter l’éthique de l’hospitalité, à analyser ce qui est en jeu dans la prise en charge d’un malade, le scientifico-technique, le juridique, le moral mais aussi le spirituel. À la recherche de la dimension originaire du soin, J.-P. Pierron ose, dit-il, l’approche métaphysique de cette intimité avec l’homme malade. Ce faisant, il évoque bien sûr largement la dimension spirituelle du soin et explique avec clarté en quoi la demande spirituelle du patient à l’hôpital est une demande de sens, une quête d’unicité de ce sujet « en miettes », divisé par l’expertise médicale : « Le spirituel n’est ni de l’explication physiologique de la douleur, ni une compréhension psychologique de l’être en souffrance, mais la reconnaissance de l’irréductible et singulière manière d’être au monde du vivant humain », écrit-il.
Soigner, c’est accompagner.
Loin de Jean-Philippe Pierron l’idée de dénoncer la technique médicale. Il s’agit plutôt de rompre avec toute ingénuité face à l’ivresse de la puissance technologique, de renouer avec la prise de conscience et la reconnaissance de la vulnérabilité de tous, et plus particulièrement de « l’homme malade ». Puisant dans les situations les plus emblématiques et les plus difficiles, la fin de vie, le cancer, la mort, la douleur, l’auteur analyse le contenu du soin et en creux, ses carences, évoque les « techniques » et manières d’accompagner, le vocabulaire essentiel de la « liturgie relationnelle », entrer dans une chambre, s’asseoir, parler, se taire, toucher celui ou celle qui est malade. Paradigme de la résistance éthique et presque politique à l’instrumentalisation de la médecine, l’accompagnement du malade mourant peut résumer l’essentiel de cette dimension du soin lorsqu’elle exprime une commune l’humanité : « Ni prendre en main dans la domination experte ; ni prendre par la main dans l’infantilisation manipulatoire. ».
Empêcher que l’identité et l’humanité de chacun ne se dissolvent dans la maladie et ce, jusqu’au dernier souffle, empêcher le soin de dériver vers une froide technique sanitaire exigent subtilité, imagination et aussi beaucoup de temps, souligne Jean-Philippe Pierron. C’est aussi ce qui manque le plus aux soignants.
Jean-Philippe Pierron, « Vulnérabilité - Pour une philosophie du soin », Puf, 205 p., 15 euros.
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