Dispositif « éclaté », approche interprofessionnelle « balbutiante », impact « limité » des négociations sur la hiérarchie des rémunérations, « défaut de maîtrise » des dépassements tarifaires, « complexité croissante » pour les patients... : la Cour des comptes se livre à un réquisitoire des relations entre l’assurance-maladie et les professions libérales de santé depuis dix ans, dans un volumineux rapport rendu public ce mercredi.
Le document (audit d’une décennie conventionnelle) tombe à point nommé, alors que le gouvernement veut rénover la politique contractuelle en renforçant l’approche territoriale, à la faveur de la loi de santé.
• Les (timides) acquis de la réforme de 2004
La Cour concède que les thématiques conventionnelles (hier exclusivement tarifaires) se sont « enrichies » depuis dix ansen intégrant des préoccupations de santé publique, de gestion du risque ou de régulation de l’offre libérale.
Mais sur le fond, tacle le rapport, le système conventionnel a échoué à relever ses défis : la régulation des volumes de soins de ville, la maîtrise du reste à charge, l’évolution des besoins liés au vieillissement et aux pathologies chroniques, la réorganisation des soins de proximité ou la coordination avec l’hôpital. Pire, « la multiplication des outils (...) a débouché sur une grande complexité tarifaire et un défaut de lisibilité pour le patient ». Une formule lapidaire résume cette critique de fond : « des succès tactiques, un échec stratégique ». Comme si la CNAM s’était éparpillée dans les dizaines et dizaines d’avenants conventionnels signés, sans fil directeur.
• Système éclaté, paysage flou
La gouvernance est épinglée. Malgré la centralisation du pouvoir de négociation, entre les mains du directeur général de l’assurance-maladie, le rapport relève que l’État intervient fréquemment avec « des dispositifs de circonstance » ou des consignes plus discrètes mais fermes. « Il en résulte des jeux d’acteurs complexes dans un paysage brouillé », peut-on lire.
• Cloisonnement et frilosité
La Cour juge que les politiques conventionnelles restent marquées par une « succession accélérée de négociations séparées » (avec les différentes professions, il existe 17 conventions ou accords).
Dans ce contexte, les « approches interprofessionnelles émergent difficilement ». Ce reproche prend un relief particulier à l’heure où l’assurance-maladie peine à concrétiser un accord sur la coordination libérale des équipes de soins et les nouvelles rémunérations.
« L’UNCAM pratique la politique des petit pas, profession par profession et thème par thème », égratigne la Cour, pour qui ce mode opératoire « complexifie » le système. La critique est plus cinglante quand la Cour dénonce la « frilosité » des politiques conventionnelles.
• Rémunération : défaut de pilotage, la ROSP peut mieux faire
Certes, l’assurance-maladie a agi en introduisant de nouveaux modes de rémunération (forfaits, paiement à la performance, honoraire de dispensation pour les pharmaciens...). Mais la CNAM n’a pas engagé de politique équitable de revenus des professions, laissant perdurer des « disparités considérables », regrettent les sages. Côté praticiens, la politique a « peu modifié la hiérarchie des rémunérations des médecins », accuse le rapport, malgré l’urgence de revaloriser la médecine générale et les spécialités cliniques. Le médecin traitant, censé être le pivot des soins ? Sa position relative (financière) n’a pas été modifiée, déplorent les magistrats.
Pire, la nouvelle rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) a en partie manqué sa cible, malgré un coût estimé à 341 millions d’euros en 2013 (et 289 millions en 2012). « Si des progrès sont observés sur la pratique clinique, les résultats sont plus contrastés pour la prévention ». Le rapport note qu’« aucune conséquence négative n’est attachée au non-respect des objectifs ou à l’absence de progrès (...) ».
• Les dépassements pas assez encadrés
La régulation tarifaire n’est pas non plus à la hauteur. La Cour assure que les dépassements de tarifs ont fait l’objet d’une action « tardive et trop limitée » de la part de la CNAM. Elle cite les tentatives « infructueuses » (option de coordination, secteur optionnel) et juge que le nouveau contrat d’accès aux soins (CAS) est « peu contraignant pour les médecins de secteur II ». Quant au dispositif de sanctions des tarifs abusifs, il est jugé « limité » avec une procédure « lourde et restrictive ».
• Démographie : actions timides
Les sages se montrent sévères au sujet de l’action de l’assurance-maladie pour corriger les inégalités territoriales. Si la Cour des comptes salue les mesures visant à rééquilibrer les implantations des infirmiers, kinés ou sages femmes, elle constate que les médecins et chirurgiens dentistes n’ont connu, eux, que des mesures incitatives, de faible portée. « Les actions sont restées timides et ont eu un impact limité », peut-on lire. La Cour estime que la question du conventionnement sélectif dans les zones en surdensité doit être posée pour toutes les professions.
• Et maintenant ?
Dénonçant le défaut de cohérence permanent entre les acteurs (UNCAM, ministère, agences régionales de santé), la Cour appelle de ses vœux un pilotage « plus intégré, dans un cadre conventionnel recentré et rénové ». Elle recommande des rounds de négociation moins nombreux et centrés sur les enjeux majeurs : rémunération des professionnels, reste à charge des patients, politique active de gestion du risque. Certains acteurs devraient être mieux associés aux négociations comme l’UNOCAM (qui réunit les familles de complémentaires).
Si les sages de la rue Cambon ne remettent pas en cause la convention nationale, ils suggèrent un élargissement des prérogatives des ARS et une « adaptation régionale » des politiques conventionnelles. Un sujet hautement sensible chez les syndicats qui redoutent des négociations « à la carte », sous la coupe des directeurs d’ARS.
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