Impôts, charges sociales, trésorerie

Passer en SEL unipersonnelle : un choix risqué

Publié le 10/10/2013
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LES SOCIÉTÉS d’exercice libéral (SEL) ont été créées dans un but simple : permettre à deux ou plusieurs associés d’exercer leur activité libérale ensemble. Et dans cette optique, elles remplissent parfaitement leur rôle. Mais depuis 1999, les médecins peuvent constituer des SEL « unipersonnelles », c’est-à-dire des SEL dont ils sont l’unique associé. Et depuis cette même date, on leur conseille avec insistance de « passer » en SEL unipersonnelle optant pour l’impôt sur les sociétés pour payer moins d’impôts et de charges sociales, ou pour se faire de la trésorerie. D’où une interrogation légitime que l’on entend toujours aussi fréquemment : ai-je intérêt à passer en SEL ?

Sans être exhaustif et sans donner de réponse tranchée, voici quelques éléments de réflexion pour faciliter votre choix.

• L’achat de la clientèle

Quel est le montage généralement proposé ? Vous constituez votre SEL unipersonnelle avec un petit capital puisqu’aucun capital minimum n’est imposé aux SEL, puis la société fait un emprunt et elle vous achète votre clientèle ainsi que vos autres biens professionnels. Comme il y a de fortes chances pour que vous ne trouviez pas d’acquéreur dans quelques années, vous allez prendre les devants et vendre la clientèle à vous-même. Mais cette opération a un coût.

Vous allez tout d’abord payer des droits d’enregistrement qui s’élèvent à 3 % pour la tranche de prix comprise entre 23 000 euros et 200 000 euros. Si nous prenons l’exemple d’une clientèle vendue 100 000 euros, les droits seront de 2 310 euros.

Puisqu’il y a vente de la clientèle, il faudra calculer la plus-value et payer l’impôt correspondant. En reprenant notre exemple, si vous avez créé votre clientèle et si vous la vendez 100 000 euros, vous ferez une plus-value à long terme de 100 000 euros qui sera taxée à 31,5 % (16 % d’impôt sur le revenu et 15,5 % de CSG-CRDS et contributions sociales). Vous aurez donc 31 500 euros à verser au Trésor public. Si l’on ajoute à ça les coûts de constitution de la société et les honoraires du conseil qui sont au moins de 4 000 à 5 000 euros, on arrive à un total de dépenses d’environ 38 000 euros !

Sur les 100 000 euros de la vente, il vous reste donc au mieux 62 000 euros. C’est effectivement une somme dont vous n’auriez pu disposer sans ce montage mais il ne faut pas oublier que vous devrez rembourser un emprunt de 100 000 euros. On a donc à l’actif une somme de 62 000 euros et au passif une dette de 100 000 euros. La conclusion est simple et indiscutable : votre patrimoine s’est appauvri de 38 000 euros. C’est un peu comme si vous aviez emprunté les 62 000 euros au taux de 23 % Peut-on parler de saine gestion dans ces conditions ?

Récupérer son investissement initial.

Mais, vous dira-t-on, le passage en SEL va vous permettre de payer moins d’impôt et de charges sociales. Vous pourrez ainsi récupérer votre investissement initial et même, d’ici quinze à vingt ans, augmenter votre revenu disponible. Est-ce exact ?

Il est exact qu’actuellement la SEL vous permet d’accroître dans une petite mesure ce revenu disponible. Sans qu’il soit nécessaire de se lancer dans de savants calculs, on peut trouver trois explications à cette conséquence du passage en SEL :

- La rémunération de gérant majoritaire est imposée après un abattement de 10 % au titre des frais professionnels. Si vous êtes imposé sur 100 000 euros en libéral, vous ne serez plus imposé que sur 90 000 euros si vous êtes en SEL.

- Les dividendes ne sont soumis aux charges sociales que sur la fraction supérieure à 10 % du capital et des sommes versées en compte courant. En vous versant des dividendes, vous pouvez donc diminuer légèrement vos charges sociales.

- En libéral, lorsque vous remboursez le capital d’un emprunt professionnel, vous le faites avec de l’argent qui a subi l’impôt sur le revenu, donc souvent au taux de 40 %. En SEL, le capital est remboursé avec de l’argent qui a été soumis à l’impôt sur les sociétés (à 15 % ou à 33,33 %). Les emprunts professionnels reviennent donc moins chers.

Et demain ?

Mais le problème majeur, c’est que les simulations qui sont proposées, même si elles sont exactes, sont faites en utilisant la fiscalité et les règles sociales actuelles. Or personne ne peut savoir ce que ces règles seront devenues dans dix à quinze ans. On peut même être certain qu’elles seront différentes de celles d’aujourd’hui. À titre d’exemple, dans les dix dernières années :

- Les dividendes ont été soumis aux charges sociales alors qu’ils ne l’étaient pas.

- Le régime d’imposition de ces dividendes a été profondément modifié.

- Le régime d’imposition des plus-values sur valeurs mobilières a changé plusieurs fois et une nouvelle modification est prévue dans la loi de finances pour 2014.

- Depuis cette année, les charges sociales du gérant de la SEL sont calculées sans tenir compte de l’abattement de 10 % dont il bénéficie fiscalement.

- On parle de soumettre l’impôt sur les sociétés à une surtaxe provisoire.

Et l’on pourrait trouver certainement d’autres exemples.

On voit donc que le gain que l’on vous annonce est parfaitement hypothétique alors que l’appauvrissement de votre patrimoine entraîné par l’achat de votre clientèle est certain et immédiat. Passer en SEL, c’est donc un peu une loterie. Vous savez ce que vous perdez mais vous ne pouvez pas savoir si vous allez gagner quelque chose.

• L’apport de la clientèle

Un autre montage est possible : vous pouvez passer en SEL unipersonnelle en faisant « l’apport » de votre clientèle à la société. Cet apport constitue le capital de la SEL et cela vous évite de vous endetter. Mais là encore, les choses ne sont pas simples.

Le passage en SEL entraîne la cessation de l’activité libérale individuelle et, par conséquent, le calcul et l’imposition des plus-values, notamment celle sur la clientèle. Si vous valorisez votre clientèle à 60 000 euros pour l’apporter à votre SEL et si vous avez créé cette clientèle, vous aurez une plus-value à long terme de 60 000 euros correspondant à une taxation de 18 900 euros. En effet, les exonérations pour recettes inférieures à 90 000 euros et pour prix de vente inférieur à 300 000 euros ne s’appliquent pas dans le cas d’un passage en SEL unipersonnelle. Et dans le cas d’un apport, vous ne percevez en contrepartie que des parts sociales. Donc rien pour payer les 18 900 euros !

Pour promouvoir le passage en société, le législateur a prévu un « report d’imposition » de la plus-value. Le montant de la plus-value est calculé selon les règles fiscales en vigueur au moment de l’apport à la SEL mais l’imposition est repoussée au jour où les parts de SEL sont cédées ou au jour où la SEL vend la clientèle. L’impôt sur la plus-value est alors calculé selon les règles en vigueur à cette dernière date. Et l’on retrouve le même problème que précédemment : on ne peut savoir quel sera le régime d’imposition de la plus-value en sursis d’imposition dans dix ou quinze ans ou plus.

Avec les règles actuelles, la plus-value pourrait être exonérée en cas de départ en retraite, à condition de faire valoir ses droits à la retraite au plus tôt deux ans avant cette cessation d’activité ou au plus tard deux ans après l’arrêt. Mais cette règle sera-t-elle en vigueur le jour où vous prendrez votre retraite ? On peut en douter puisqu’il est prévu dans le projet de loi de finances pour 2014 de supprimer cette exonération dans le cas de cession de parts de société et de la remplacer par un abattement de 85 % sur le montant de la plus-value si les parts de la société ont été conservées plus de huit ans. Encore un exemple de l’instabilité qui caractérise le système fiscal français… et qui rend le choix de la SEL risqué.

 JACQUES GASTON-CARRERE abcliberal@orange.fr

Source : Le Quotidien du Médecin: 9270