LE TEXTE DE BASE est l’article 132-I-c de la directive européenne du 28 novembre 2006 « relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée » qui exonère de TVA « les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’État membre concerné ». Cette disposition a été transposée dans l’article 261-4-1° du code général des impôts.
• Hiver 2012 : le feu aux poudres
Le problème semble inexistant jusqu’aux premiers mois de 2012, où l’administration décide soudainement d’appliquer la jurisprudence de deux arrêts de la CJCE qui datent de 2003 et qui ne concernent pas les actes d’esthétique. Prétextant une question posée par un médecin et après un « simulacre » de concertation, elle publie un « rescrit » donnant sa nouvelle position sur la TVA appliquée aux soins médicaux.
Pour résumer, ne sont exonérés de TVA que les actes de médecine et de chirurgie esthétiques qui ont une finalité thérapeutique. Et, pour se simplifier la vie, l’administration décide que les actes ayant une finalité thérapeutique sont uniquement ceux qui sont remboursés par l’assurance-maladie !
En pratique, il lui suffira donc de soustraire le montant des honoraires figurant sur le relevé SNIR du montant des recettes déclarées pour obtenir les recettes soumises à la TVA.
• Automne : recours syndicaux et silence de Bercy
Bien entendu, les syndicats représentatifs ont réagi et, en premier lieu, le SNCPRE, présidé par le Dr Bruno Alfandari, suivi par le Syndicat national des dermatologues et le SNOF, qui ont tous déposé un recours pour excès de pouvoir contre ce texte.
La seule réponse de Bercy fut, comme on dit, un silence assourdissant. Malgré les nombreux problèmes posés par ce soudain assujettissement à la TVA, annoncé trois jours avant son entrée en vigueur pour le dernier trimestre de 2012, malgré les interrogations légitimes des praticiens devant les conséquences de cet important changement, l’administration a vaillamment adopté la politique de l’autruche. Mais, confrontée au nouvel arrêt de la CJUE, il va bien falloir qu’elle se décide à répondre. L’arrêt du 21 mars risque en effet de lui compliquer la vie.
• Printemps 2013 : nouvelle donne
Il faut noter tout d’abord que c’est le premier arrêt européen qui est rendu en matière d’actes d’esthétique. Il concerne un litige entre l’administration fiscale suédoise et une clinique. Et l’on peut apprécier le fait que l’administration suédoise reconnaisse que la recherche de la finalité d’un acte médical soit « extrêmement contraignante » pour les autorités fiscales et pose des « problèmes sérieux d’application et de délimitation ».
L’arrêt reprend ensuite les principes dégagés dans les arrêts de la CJCE de 2003 et qui figurent dans le rescrit de 2012. En précisant au passage que la finalité thérapeutique ne doit pas être nécessairement prise dans une « acception particulièrement étroite ». On est loin de la rigidité française…
Il indique donc que les prestations de chirurgie esthétique et les traitements à vocation esthétique relèvent des notions de « soins médicaux » ou de « soins à la personne » exonérés de TVA lorsque ces prestations ont pour but de diagnostiquer, ou de soigner ou de guérir des maladies ou des anomalies de santé ou de protéger, de maintenir ou de rétablir la santé des personnes.
Le curseur des « fins cosmétiques ».
Et la Cour poursuit : « lorsque l’intervention répond à des fins purement cosmétiques, elle ne saurait relever de ces notions ». « Fins purement cosmétiques » : le curseur est donc nettement déplacé entre les actes thérapeutiques et ceux qui ne le sont pas. Quand la finalité de l’acte est « cosmétique », il est soumis à la TVA. Quand la finalité est esthétique, le problème se pose. L’arrêt donne l’exemple d’une personne ayant un handicap physique congénital nécessitant une intervention. Bien que de nature esthétique, cet acte sera exonéré de TVA.
Acte thérapeutique ou non ? Le médecin sait...
On en arrive au point le plus important de l’arrêt. Marc Mrozowski, directeur de la rédaction fiscale de « LEXIS NEXIS », rappelle que celui-ci devait notamment répondre à une question concernant le caractère thérapeutique de l’acte pratiqué : « Faut-il pour cette appréciation, accorder quelque importance à la question de savoir si le but de l’intervention est décidé par un membre du corps médical habilité ? »
La réponse est claire (paragraphe 35) : « dès lors que cette appréciation présente un caractère médical, elle doit se fonder sur des considérations ayant un tel caractère, effectuées par un personnel qualifié à cet effet » (c’est-à-dire par un médecin, dans le jargon de la Haute Cour).
La solution est reprise dans l’avant dernier paragraphe des conclusions de l’arrêt : « Les circonstances que des prestations telles que celles en cause au principal soient fournies ou effectuées par un membre du corps médical habilité ou que le but de telles prestations soit déterminé par un tel professionnel sont de nature à influer sur l’appréciation de la question de savoir si de telles interventions relèvent des notions de « soins médicaux » ou de « soins à la personne » », c’est-à-dire assujetties ou pas à la TVA. C’est donc au médecin ou au chirurgien de déterminer le but thérapeutique de l’acte qu’il effectue.
Or l’administration fiscale, consciente des problèmes que va entraîner sa nouvelle position (notamment la violation du secret professionnel…) s’est empressée de se décharger de sa responsabilité : pour elle, les actes n’ayant pas de finalité thérapeutique, donc soumis à TVA, sont les actes non remboursés par l’assurance-maladie !
C’est donc à une structure purement administrative, ayant des finalités essentiellement financières, que Bercy délègue le soin de faire le tri entre les actes soumis à TVA et ceux qui en sont exonérés. Or il suffit de prendre l’exemple de la chirurgie réfractive, dont personne ne peut contester le caractère thérapeutique et qui n’est pas remboursée par l’assurance-maladie, pour montrer l’inanité d’une telle assimilation.
Litiges en vue.
D’autant que nos jeunes énarques ne se rendent pas compte du piège dans lequel ils entraînent l’administration. Ceux qui ont connu les années soixante-dix se souviennent certainement des redressements faits par l’administration à cette époque sur la base des relevés SNIR. Le système était simple : vous déclariez des recettes de 100 000 euros, votre SNIR indiquait 110 000 euros, vous étiez redressé de 10 000 euros ! Malheureusement pour l’administration, les tribunaux lui ont donné presque toujours tort, en considérant que le SNIR n’était qu’un indice parmi d’autres, et en aucun cas une preuve suffisante, et petit à petit, cette pratique des inspecteurs a disparu.
Et des litiges, il risque d’y en avoir beaucoup d’autres. On sait que lorsqu’un associé d’une société civile de moyens est assujetti à la TVA sur plus de 20 % de ses recettes, c’est toute la SCM qui perd son exonération de TVA. Si, par exemple, vous versez habituellement 3 000 euros par mois à votre SCM, vous devrez lui verser 3 588 euros. Les dépenses professionnelles transitant par la SCM vous coûteront presque 20 % de plus que maintenant (la SCM récupérera très peu de TVA). Or dans de nombreuses SCM, l’assujettissement à la TVA n’est pas une cause d’exclusion. Comment ferez-vous si l’associé « responsable » refuse de partir ?
On voit donc qu’au-delà des chirurgiens plasticiens et des dermatologues, c’est l’ensemble des professionnels libéraux, médicaux et paramédicaux, qui risque d’être concerné par cet assujettissement. Il serait donc sage que l’administration profite de ce nouvel arrêt pour revenir sur son rescrit de septembre 2012 et s’en tenir à une interprétation littérale de l’article 261-4-1° du code général des impôts qui, très simplement, exonère de TVA « les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales ».
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