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Dossier

Syndicats médicaux : grandes manœuvres en ville

Par Marie Foult et Loan Tranthimy - Publié le 02/12/2019
Syndicats médicaux : grandes manœuvres en ville

Le directeur de la CNAM, Nicolas Revel, accueille des délégations syndicales, lors d'une séance de négociations
SEBASTIEN TOUBON

Alors que les élections professionnelles se profilent déjà (dans un an), les syndicats de médecins libéraux tentent de se renouveler pour peser dans les réformes. Faut-il se regrouper ou créer de nouvelles structures ? Faut-il encore miser sur les centrales polycatégorielles ? Quel financement ? Quelle place pour la nouvelle génération ? Les sujets de discorde sont nombreux et chacun avance ses pions sur l'échiquier.

Une profession balkanisée... qui veut surmonter ses divisions  

« Le syndicalisme médical est un origami sympathique, dans lequel on ne se retrouve plus ». Cette phrase de Michel Yahiel, ex-conseiller social de François Hollande, résume l'éclatement de la profession. Avec cinq organisations représentatives (lire ci-dessous) pour moins de 110 000 praticiens libéraux, les lecteurs du « Quotidien », sondés en ligne, font le même constat. Sur les 248 médecins de ville ayant répondu, 86 % estiment être mal représentés par des syndicats jugés « divisés », « disparates » et « trop nombreux ».

Quelle représentation médicale pour peser davantage ? La question aboutit à des réponses contradictoires, en ordre dispersé.

À l'heure où certaines organisations veulent s'inviter à la table syndicale (lire page 3 la stratégie de l'UFML-Syndicat), d'autres secouent le cocotier de l'intérieur. Dernière initiative, celle du Dr Patrick Gasser, président des « Spé » de la CSMF, qui annonce la création d'un « syndicat unique » pour porter la voix des spécialistes libéraux mais aussi salariés. « Les spécialistes ne sont plus entendus », martèle le gastro-entérologue, critiquant l'impasse des centrales polycatégorielles. Son initiative transversale est en partie soutenue. « Au Québec, tous les spécialistes sont dans une seule fédération et obtiennent 2 % de hausse de leurs actes par an », admet le Dr Benoît Féger, ORL et ancien patron de la branche spécialiste de la FMF.

A l'inverse, le Dr Jean-Paul Ortiz, patron de la CSMF, la maison mère, estime que « seuls les syndicats polycatégoriels (regroupant généralistes et spécialistes) sont incontournables » pour défendre les valeurs de la médecine libérale. Le néphrologue se pose en artisan d'un dialogue constructif avec tous les syndicats de médecins libéraux. Pour preuve, sa dernière université d'été qui a ouvert ses portes aux autres leaders. 

Mais sur le fond chacun défend son pré-carré. Le SML, qui lorgne les bataillons de non-syndiqués, met en avant son fonctionnement polycatégoriel et tacle : en son sein, généralistes et spécialistes libéraux « dialoguent sans problème ». Il éreinte l'idée d'un syndicat élargi aux hospitaliers qui, selon lui, aboutirait à la catastrophe : arbitrages en faveur du public, mort du secteur II, réseaux aux mains des ARS...  

Du côté des syndicats monocatégoriels, on assume la stratégie de défense d'intérêts spécifiques. Pas question pour MG France, dont l'histoire se confond avec le combat identitaire, d'être noyé dans une centrale plurielle. « Que tous ceux qui défendent la médecine générale se regroupent, oui ! Mais pour être bien entendus, nous devons rester monocatégoriels », recadre son président, le Dr Jacques Battistoni. Même analyse du côté des plateaux techniques. « Le "nous sommes tous égaux et nous avons les mêmes problèmes" ne marche pas, juge le Dr Philippe Cuq, co-président du BLOC. Nous sommes les seuls à parler des problèmes des infirmiers dans les blocs opératoires ! »

Seule la FMF reconnaît que les syndicats « pourraient unir leurs forces ». « Au fond, le morcellement rend service aux pouvoirs publics », analyse son chef de file Jean-Paul Hamon. Sur plusieurs sujets (dont la réforme des retraites), les syndicats ont d'ailleurs rédigé des communiqués communs ces dernières semaines...

Élections aux URPS, stop ou encore ?

Pour éviter d'entretenir la division, le SML a son idée : supprimer les élections aux Unions régionales des professionnels de santé (URPS). Le prochain vote doit intervenir en octobre 2020 ou mars 2021. Tous les cinq ans, il sert de baromètre pour mesurer l'audience des syndicats. L’enjeu est de taille car seuls les organisations représentatives peuvent ensuite négocier avec l’assurance-maladie. Mais la campagne entretient une compétition en partie artificielle et favorise le vote protestataire. « Les élections accroissent l’éclatement du corps médical, décrypte le Dr Michel Chassang, ex-président de la CSMF. Elles se transforment en référendum sur la convention médicale. Les signataires se retrouvent avec des mauvais scores. Et la prime va aux opposants ». 

Alors que le taux de participation est en baisse constante (39,9 % en 2015 contre 44 % en 2010, 46 % en 2006 et 52,7 % en 2000), comment définir la représentativité syndicale ? « On devrait prendre en compte le nombre d’adhérents aux syndicats pour éviter de perdre du temps et de l'argent dans ce scrutin », avance le Dr Vermesch.

Une proposition aussitôt... rejetée par les autres leaders pour qui le vote aux URPS est un « rendez-vous démocratique » qui a une signification politique et territoriale. « Ce scrutin permet aux médecins de voir les positionnements des syndicats sur les sujets importants comme les CPTS, le secteur II, les modes de rémunération », explique le Dr Cuq (Le BLOC), qui défend un vote électronique. « Se baser sur le nombre d’adhérents est un peu simpliste, ce n’est pas le reflet d’une position politique », ajoute le Dr Hamon (FMF). Davantage que la remise en cause des élections, la CSMF voudrait rendre « plus transparents » les critères de représentativité syndicale (score aux élections, ancienneté, couverture géographique). 

Financement, on change tout ?

Autre point de désaccord, le financement des syndicats. En plus des cotisations de leurs adhérents, les seuls syndicats signataires de la convention médicale perçoivent une somme significative pour former leurs cadres à la vie conventionnelle (2,7 millions d'euros par an). Un quart de cette enveloppe est réparti à parts égales entre signataires. Le reste est ventilé au prorata du nombre de sièges en commission paritaire nationale (CPN), fonction des résultats aux élections URPS.

Deux camps s'affrontent. Certains réclament la déconnexion entre signature et financement conventionnel, comme la CSMF qui juge « malsaine » cette prime au paraphe. « Cela amène des structures à signer en cas de problèmes financiers », estime aujourd'hui le Dr Ortiz. Il propose un fonds pour « la démocratie syndicale médicale », doté de 15 à 20 millions d'euros, composé de crédits conventionnels, de cotisations obligatoires et d'un soutien de l'Etat. La FMF et le BLOC, eux-aussi partisans de la déconnexion, préféreraient baser ce financement sur les résultats aux élections professionnelles et les enquêtes de représentativité.

MG France souhaite conserver cette enveloppe conventionnelle centrale, tout en réclamant un complément financier de l'État. Même analyse au SML. « Le rythme des réunions s'est intensifié depuis le début du quinquennat, ce n'est plus suffisant pour former et défrayer nos cadres, » assure le Dr Philippe Vermesch (SML).

Un coup de jeune ? 

Les syndicats seniors ont vu s'émanciper une nouvelle force syndicale : les jeunes. Depuis 2018, cinq syndicats d'étudiants, internes et jeunes (ANEMF, ISNAR-IMG, ISNI, ReAGJIR et Jeunes médecins), déclarés représentatifs, assistent aux négociations avec la CNAM en tant qu'observateurs. Jusqu'alors, cette possibilité leur était refusée, les négociations n'engageant que les praticiens libéraux installés. 

Exercice collégial, rémunérations plus forfaitaires : les juniors s'estiment peu ou mal défendus par leurs aînés. « Je me sens un peu seul, admet le Dr Steeve Sulimovic, jeune chirurgien orthopédiste de la CSMF. On parle beaucoup de retraite mais les jeunes ont d'autres problèmes : l'installation, les pratiques professionnelles ! ». « Les idées des grandes structures syndicales ne correspondent pas forcément à celles que nous portons, sur l'exercice pluriprofessionnel par exemple », explique aussi le Dr Laure Dominjon, présidente de ReAGJIR.

Une fracture générationnelle dont veut profiter Jeunes médecins, syndicat créé en 2018 à partir de l'ISNCCA qui portait la voix des chefs de clinique et assistants. La structure élargie se lancera (elle aussi) dans la compétition aux URPS pour représenter la jeune génération médicale « toutes spécialités et modes d'exercice, dix ans après la fin de leur DES ». « Il faut porter la voix des jeunes dans la convention. Nous remplissons les critères d'éligibilité et sommes ouverts à faire des listes communes avec d'autres syndicats libéraux », lance déjà le Dr Emanuel Loeb, président d'une structure qui communique beaucoup sur le front... hospitalier. Trouvera-t-elle sa place sur l'échiquier libéral ?

Marie Foult et Loan Tranthimy