Frédéric Collet (LEEM) : « Nous devons repenser le cadre d’information des patients et du dialogue avec les médecins »

Publié le 09/09/2020

Crédit photo : S. Toubon

Pénurie des médicaments, formation des médecins, transparence des liens d’intérêts… Frédéric Collet a répondu à vos questions sur le sujet pendant plus d’une heure au cours d’un Live chat sur lequotidiendumedecin.fr.

Le président du LEEM (Les entreprises du médicament) et de Novartis France reconnaît la nécessité d’améliorer le dialogue entre les acteurs du monde de la santé pour éviter de nouvelles affaires Lévothyrox. Il est également favorable à une refonte du site sur la transparence des liens d’intérêts afin d’en améliorer et d’en simplifier le fonctionnement. Sur la question de la pénurie des médicaments, Frédéric Collet invoque la complexité de la situation, mais il assure que l’industrie a la volonté d’améliorer l’informations aux médecins en cas de rupture d’un produit.

Live chat Frédéric Collet

Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Le Live chat va bientôt commencer. Nous accueillons aujourd’hui Frédéric Collet, président du LEEM (Les entreprises du médicament) et de Novartis France. Comment établir une relation saine entre les médecins et les laboratoires pharmaceutiques, loin des suspicions et des polémiques ? C’est le thème de ce Live chat. Frédéric Collet répondra à vos questions en direct pendant près d’une heure.
 
Journaliste QDM (SL)
Frédéric Collet est arrivé à la rédaction. Il est aux côtés de Christian Nicoli, DG du Groupe profession santé, et de Jean Paillard, directeur de rédaction du « Quotidien ». Encore quelques minutes de patience.
Live chat Frédéric Collet
 
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Frédéric Collet. Nous sommes ravis de vous accueillir dans les locaux du « Quotidien ». Merci d’avoir accepté notre invitation.
Frédéric Collet (LEEM)
Bonjour, je remercie la rédaction du "Quotidien" pour l'invitation et je suis très heureux de cet échange avec les médecins pour lesquels je tiens à souligner toute la reconnaissance que j'ai en tant que patient et citoyen. Confidence pour confidence, si je devais refaire mes études aujourd'hui, je serais médecin.

Le thème de notre entretien est celui d'une relation saine et sans polémiques. Ce dialogue est essentiel. Nous contribuons tous à une même tâche qui est de soigner et d'établir la confiance dans les traitements mis à disposition des patients que nous sommes tous. C'est dans un dialogue collectif et ouvert que nous pouvons y parvenir.
Journaliste QDM (SL)
Plusieurs questions autour de la formation médicale des médecins et du rôle de l'industrie
 
-- Pouvez vous clarifier les modalités
Pouvez vous clarifier les modalités acceptables pour proposer de la formation aux professionnels de santé par l industrie ? merci
 
-- marion
Selon vous, qui doit financer la formation médicale continue ?
Frédéric Collet (LEEM)
Il faut distinguer ce qui est du domaine du bon usage du médicament, ce que nous faisons au quotidien et qui est de notre responsabilité, et la formation. La formation initiale se fait dans un cadre très renforcé avec de nouvelles restrictions avec l'interdiction de prise en charge des repas. Il n'y a, conformément à la loi de 2019, pas d'intervention des entreprises du médicament dans ce domaine. En ce qui concerne la formation continue, les entreprises contribuent à une partie seulement du financement à travers la prise en charge, par exemple des frais d'inscription. Cette intervention est donc très limitée et contrôlée pour assurer le parfait respect de l'indépendance des professionnels de santé. J'y suis très attaché.
Bertrand66
Depuis quelques années, il existe une pénurie en ce qui concerne certains médicaments parfois essentiels et sans solutions de substitution. Comment expliquez-vous cette pénurie : - Coût trop faible demandé par les autorités sanitaires ? - Problème d'approvisionnement en matière première ? - Choix délibéré des décideurs pour limiter "l'invasion" du marché français par certains traitements concurrentiels étrangers ? - Production à flux tendu du fait des incertitudes du marché ? Sera-t-il possible dans ces situations de mieux communiquer avec les professionnels de santé pour les informer sur ces manques que les pharmaciens n'expliquent pas nécessairement, et ne peuvent nous dire si cela est passager ou permanent ?
Frédéric Collet (LEEM)
La question des ruptures d'approvisionnement est un sujet très sérieux sur lequel le LEEM et l'ensemble de ses adhérents sont pleinement mobilisés.
Comme vous le soulignez, ces ruptures sont d'origines très diverses et peuvent intervenir sur l'ensemble de la chaîne de fabrication et de mise à disposition du médicament. La première cause des ruptures est d'abord liée à une demande mondiale en très forte expansion, liée à l'évolution de l'ensemble des systèmes de santé et à la prise en charge des patients.

D'autres facteurs sont liés à la complexification de la chaîne de production, des technologies, des contrôles et des obligations réglementaires.

Nous avons publié en février 2019 des recommandations partagées avec la ministre de la Santé de l'époque pour répondre à ces questions et s'assurer que les patients disposent en toutes circonstances des traitements dont ils ont besoin. La crise actuelle montre combien c'est essentiel.

On peut retenir trois axes prioritaires dans ces mesures : le premier pour identifier les médicaments pour lesquels les obligations de sécurisation doivent être renforcés, la seconde pour favoriser la localisation en Europe et l'autonomie sanitaire, et la troisième pour structurer et favoriser le partage d'informations pour l'ensemble des acteurs. C'est cette mesure qui répond particulièrement à la question que vous soulevez.

Je souligne une nouvelle fois que les causes sont multiples et que l'ensemble des acteurs doivent se mobiliser.
Dr Provoc
L'affaire du Lévothyrox est navrante. Comment en est-on arrivé là ? Mauvaise communication des autorités sanitaires ? Quelle est la responsabilité du labo dans ce cas précis ?
Frédéric Collet (LEEM)
La question du Lévothyrox a ému, et on le comprend, les patients concernés et les professionnels de santé.
Cette question illustre la nécessité du dialogue entre les autorités de santé, en l'occurence l'ANSM, les laboratoires, les patients et les médecins qui les prennent en charge.

Je rappelle que le changement de formulation a eu lieu à la demande des autorités de santé et que ce changement n'a pas été suffisamment accompagné et expliqué pour assurer la confiance nécessaire des patients. Ce n'est donc pas le traitement lui-même ni son efficacité qui étaient en cause, mais je comprends l'émotion des patients suivant un traitement chronique dont on modifie la composition.

Ce dossier nous amène à repenser globalement le cadre de l'information des patients et du dialogue avec les médecins prescripteurs et les autorités de santé.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Frédéric Collet (LEEM)
 
Marie-Pierre
Pourquoi ne sommes-nous avertis que tardivement des "pénuries" de certains traitements ? Alors que nous sommes joignables facilement pour d'autres infos beaucoup moins intéressantes...
Frédéric Collet (LEEM)
Nous informons quotidiennement les autorités de santé de la situation de nos stocks et de nos approvisionnements, et les entreprises sont soumises à la mise en place de plans de gestion des pénuries très stricts lorsque des ruptures sont signalées.

Ces informations sont disponibles en temps réel sur le site de l'ANSM à l'intention des professionnels de santé.

La mise en place du DP rupture vise à améliorer significativement le partage de l'information. Je suis conscient que ce point reste sensible et qu'il y a une volonté partagée de l'ensemble des acteurs pour améliorer encore cette situation.
Chris
L'industrie pharmaceutique est-elle encore innovante ? On a l'impression qu'il n'y a plus de découverte majeure dans ce secteur et que les nouvelles molécules présentent un SMR très faible.
Frédéric Collet (LEEM)
Il y a deux questions dans votre intervention, celle de la capacité d'innovation et celle de son évaluation.

Concernant la capacité d'innovation, elle n'a jamais été aussi fertile qu'aujourd'hui. Je cite par exemple l'immunothérapie dans le domaine du cancer, les thérapies géniques et cellulaires en ophtalmologie, hématologie ou certaines maladies rares, et également plus généralement les médicaments de biotechnologies qui représenteront bientôt 50 % de la pharmacopée.

Je vous invite à consulter sur le site leem.org le rapport "Santé 2030" qui fait un état passionnant de l'innovation scientifique et technologique des dix prochaines années. Ce rapport est le fruit d'un travail d'une trentaine de scientifiques éminents et souligne combien la question qui s'adresse à nous aujourd'hui est plus des conditions dans lesquelles nous pouvons assurer l'accès de ces traitements très innovants à tous les patients qui les attendent.

La seconde partie de votre question concerne l'évaluation et la reconnaissance de l'innovation. Le LEEM, dans le contexte de cette accélération de la science et du progrès thérapeutique, considère que les conditions de l'évaluation doivent être revues, en commençant par l'évaluation scientifique (SMR/ASMR).

Je suis personnellement favorable à ce que la question de l'évaluation européenne puisse progresser pour assurer une cohérence entre les pays.
Arnaud
De plus en plus de jeunes médecins refusent, comme moi, de recevoir les visiteurs médicaux. Ne faudrait-il pas les remplacer par un service public d'information sur le médicament ?
Frédéric Collet (LEEM)
La crise de la Covid a été l'occasion d'observer des pratiques très différentes selon les aires thérapeutiques et les profils des médecins, en particulier l'âge.

Il est de la responsabilité d'un laboratoire qui cherche, développe, fabrique et commercialise un médicament de s'assurer également de son bon usage et c'est le rôle de la visite médicale.

La visite médicale est très encadrée, conformément à la charte que nous avons signée avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). C'est un métier qui évolue profondément, notamment du fait de l'arrivée du digital et de l'évolution des traitements que nous développons.

L'innovation thérapeutique a aujourd'hui pour caractéristiques de s'adresser à des populations de plus en plus ciblées et avec des traitements de plus en plus complexes et personnalisés, et requiert donc un accompagnement adapté de la part des entreprises qui les développent pour assurer leur bon usage. Je souligne qu'un des rôles de la visite médicale est également de participer à la chaîne de pharmacovigilance.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Frédéric Collet (LEEM)
 
Dr GOURMAND
Certains médecins libéraux profitent souvent de repas au restaurant sous prétexte d'une formation de l'industrie pharmaceutique. Ces médecins sont-ils influencés ensuite dans leurs prescriptions et le choix des médicaments...?!
Frédéric Collet (LEEM)
Les relations entre les entreprises du médicament et les médecins sont très drastiquement encadrées et ont fait l'objet de trois lois successives depuis 1993. Comme vous le savez, tous les avantages supérieurs à 10 euros TTC sont déclarés sur le site transparence.gouv.fr et sont donc consultables.

Nous demandons toutefois que la consultation, le fonctionnement de ce site et l'usage de ces données soient améliorés et simplifiés pour assurer pleinement toutes les conditions de la transparence.

Le choix de la prescription reste pleinement celui du médecin, qui use de son libre arbitre pour choisir les traitements adaptés aux besoins de son patient.
Doc Cobaye
La crise du Covid a fait prendre conscience que la France n'était pas maître de son indépendance thérapeutique. Pourquoi cette délocalisation massive dans la fabrication de médicaments ? De ce point de vue, va-t-il y avoir, selon vous, un avant et un après épidémie ?
Frédéric Collet (LEEM)
La crise a souligné une situation de dépendance sanitaire sur laquelle nous avions alerté depuis plusieurs années. Les causes en sont multiples et notamment liées au positionnement de notre industrie en France sur des molécules matures et donc fortement exposées à la concurrence internationale. Par exemple, 30 % des médicaments génériques sont fabriqués en France, quand 3 % des anticorps monoclonaux que nous utilisons le sont.

Il s'agit aujourd'hui de reconstruire en parallèle les conditions de la compétitivité des entreprises locales par rapport à la concurrence asiatique en particulier, et de l'attractivité de notre pays pour qu'y soient développés et produits les molécules et les traitements de la nouvelle pharmacopée.

Le plan de relance annoncé par le gouvernement confirme la reconnaissance du caractère stratégique des entreprises de santé et les mesures annoncées sont un signal positif en ce sens. Je souhaite qu'elles nous permettent de renforcer l'autonomie sanitaire de l'Europe.
Dr Squeeze
L'autorité de la concurrence vient d'infliger aujourd'hui une amende record de 444 millions d'euros aux laboratoires Novartis, Roche et Genentech, accusés de "pratiques abusives" pour préserver les ventes d'un médicament traitant la DMLA. Quelle est votre réaction ?
Frédéric Collet (LEEM)
L'information vient semble-t-il de tomber pendant ce chat et vous comprendrez que je ne peux pas la commenter.
Journaliste QDM (PT)
C'était la dernière question. Merci Frédéric Collet d'avoir participé à cet échange avec les lecteurs du « Quotidien ». Le mot de la fin vous revient..
Frédéric Collet (LEEM)
Je vous remercie de nouveau pour votre invitation et cet échange très innovant dans la forme. Dans ce contexte d'innovation thérapeutique de crise sanitaire et d'évolution de tous nos métiers, ce dialogue est essentiel pour permettre à chacun d'entre nous d'exercer son métier de la meilleure façon et pour assurer aux patients l'accès aux meilleurs traitements en toutes circonstances. Poursuivons-le !
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous dans les prochaines semaines pour un nouveau Live chat.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr