— Écoute mon gars, on ne va pas y passer la nuit. Plus vite tu réponds, plus vite on te laisse tranquille. De toute façon pour toi, c’est la cabane. Mais si tu coopères tu auras plus vite droit à un avocat. Compris ?
Du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, l’inspecteur Bouchais s’impatiente. Il a bien l’intention de régler l’affaire sans retard. Pour lui, le scénario est simple : Georges Lefranc a tué son ami Bertrand Trumeaux dans la nuit du 13 au 14 avril. Les deux hommes avaient dîné ensemble puis décidé de finir la soirée dans un bar. Une dispute avait éclaté. Les deux amis en étaient venus aux mains. Un coup de poing sur la tempe avait été fatal à Bertrand, dont la vie s’était achevée aux urgences à peine quelques heures après son transport à l’hôpital. Hémorragie cérébrale.
— Bon, alors, t’accouches ? L’inspecteur revient à la charge sans ménagement.
Georges se contente de secouer la tête en signe de dénégation. Incapable d’articuler un mot, il assiste, passif, comme absent, à son propre interrogatoire. Il se sent vide, incapable de réagir.
— Inspecteur, balbutie-t-il, je vous l’assure : je ne me souviens de rien. Et surtout pas d’avoir porté la main sur Bertrand… D’ailleurs, ajoute-t-il, après un temps d’hésitation, je ne me souviens même pas de l’avoir accompagné dans le bar dont vous me parlez…
— Arrête ! hurle Bouchais qui sur-joue la colère. Tu veux te payer notre tête ? T’as perdu d’avance. Crois-moi, mieux vaut avouer. Sinon on va te faire bouffer des cailloux et ton avocat – si tu en trouves un qui veuille bien défendre un cas indéfendable – te laissera tomber. Service minimum, peine maximale : voilà ce qui t’attend.
En réalité l’inspecteur est loin, dans son for intérieur, de la belle assurance dont il matraque son suspect. La police n’est intervenue que le 16 avril. Le patron du bar – un établissement convenable, voire plutôt chic du Marais –, a d’abord appelé le SAMU, pour assister Bertrand Trumeaux dont on ne soupçonnait pas la gravité des blessures. Les témoins se sont prudemment dispersés. Le bar a fermé. Mais une fois le décès constaté par l’équipe médicale, il a fallu lancer l’enquête, sous la pression de la famille de Bertrand Trumeaux, partagée entre chagrin et colère.
Sur place, l’équipe de Bouchais a tenté de reconstituer les faits et de dresser la liste des personnes présentes au moment de l’altercation.
Le patron du bar a fait profil bas tout en jurant qu’il voulait aider la police. Son établissement était très honorable, répertorié sur les meilleurs sites, fréquenté par certains peoples des arts et lettres. En ce fatidique vendredi 13, les deux salles étaient pleines à ras bord. Une altercation avait éclaté. Le pauvre Bertrand Trumeaux en avait fait les frais, hélas. Difficile d’en dire plus. Il faisait confiance à la police et se tenait bien sûr à sa disposition.
Geneviève, la fiancée de Bertrand, s’est, par chance, montrée plus loquace. Entre deux sanglots – un peu mélodramatiques, jugea in petto l’inspecteur Bouchais –, elle a, la première, ouvert la piste de Georges. Elle en aurait juré, les deux copains, comme à chacune de leurs sorties, étaient partis faire la tournée des bars après leur dîner à la Brasserie des Amis, leur spot favori. Georges Lefranc témoignerait.
C’est ainsi, faute d’autre piste, que Georges s’est retrouvé sous le feu des questions de l’inspecteur Bouchais. En mauvaise posture. Celle de l’accusé. Autant dire du coupable…
Prochain épisode dans notre édition du 22 juin
Jeanne Mazabraud: Originaire du Sud-Ouest de la France, Jeanne Mazabraud, est de retour en France après avoir travaillé à l'étranger pendant plus de vingt ans. L'écriture de fiction en langue française, est pour elle, comme pour ses lecteurs, une source d'épanouissement et de plaisir depuis toutes ces années.
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