Le parcours en voiture jusqu’à l’hôpital a été l’expérience la plus déstabilisante de ma vie. Encore sous le choc des révélations que venait de me faire Lionel, j’étais incapable d’articuler le moindre mot. Je lançais sans arrêt des regards furtifs vers Matthias. J’aurais aimé que tous les feux passent au rouge, je souhaitais des embouteillages, je voulais du temps pour réfléchir et surtout pour décider de ce que j’allais faire.
Une fois arrivés, il me guida à l’étage des soins palliatifs jusqu’à la chambre de son père dans laquelle je pénétrai à sa suite. Lionel était allongé sur son lit, ses bras maigres posés le long du corps. J’avais déjà vu assez de gens mourir pour comprendre immédiatement que l’issue fatale était proche. Ses yeux perdus au fond de leurs orbites me fixaient. Il rassembla ses forces pour me dire :
— Je savais que tu viendrais, Jean-Louis.
— C’est une consultation que tu m’avais déjà réglée, je me devais de l’honorer, lui répondis-je en essayant de cacher mon émotion.
Puis il reprit en s’adressant péniblement à son fils :
— Matthias, soit gentil, laisse-nous un instant s’il te plaît.
Une fois seuls, il reprit d’une voix lasse en observant de longues pauses entre chaque phrase.
— Tout d’abord, pardonne-moi toute cette mise en scène… tous ces rendez-vous… Je suppose que tu as lu ma lettre… Tu conviendras que ce secret n’était pas facile à avouer… Est-ce que tu lui as dit ?
Je décidais de lui apporter la seule réponse qu’il semblait attendre. Celle-là même que j’aurais aimé entendre si j’avais été à sa place, en répondant simplement :
— Non !
Il me gratifia d’un sourire fatigué avant de reprendre péniblement en soupirant :
— Est-ce que tu vas lui dire plus tard ?
Jamais je n’avais eu à prendre aussi rapidement une décision de cette importance. J’avais déjà choisi ma ligne de conduite et j’allais m’y tenir. J’ajoutais donc sans hésiter :
— Non, jamais !
Il parut énormément soulagé. Je ne me souvenais pas d’avoir lu autant de gratitude dans un regard. Quand j’ai rappelé Matthias qui attendait dans le couloir, ce dernier était blanc comme un linge et me dévisageait avec insistance comme si c’était moi le mourant. Dans un soupir, Lionel nous a fait signe de nous approcher. Assis de part et d’autre du lit, nous lui avons pris la main. J’ai glissé ma paume sous la sienne. Il a fermé les yeux, sa respiration s’est faite plus lente tandis que, sur son visage, toute la souffrance accumulée s’effaçait. Je le regardai s’éteindre doucement. Quand ses poumons se sont affaissés une dernière fois, sa main dans la mienne n’était plus qu’un poids mort.
Nous sommes restés longtemps prostrés, immobiles en silence, puis une infirmière est arrivée et nous a demandé de sortir un instant. Debout dans le couloir, face à moi, Matthias toujours livide ne me quittait pas du regard. De sa poche il a tiré la lettre manuscrite de son père et l’enveloppe en papier kraft et me les a tendues d’une main tremblante, les yeux pleins de larmes en disant d’une voix hésitante :
— Dans la voiture, vous n’arrêtiez pas de manipuler nerveusement ces deux lettres, vous ne répondiez même pas à mes questions. Quand vous êtes sorti en les laissant sur le siège… je les ai prises, comptant vous les rendre… Je vous ai vu tellement bouleversé en les lisant que je n’ai pas pu m’empêcher de les lire à mon tour en attendant dans le couloir. Je crois que leur contenu nous concerne…
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