Quand arriva le moment du départ, je fus invité à revoir le docteur Anjali Jones, toujours soucieuse de la satisfaction de ses pensionnaires venus du passé.
Affable, elle me reçut dans son bureau, un grand espace dépourvu de fenêtres comme l’était ma chambre, et elle me dirigea vers le coin salon réservé aux visiteurs. Nous parlâmes d’abord de ma guérison puis j’en vins à lui poser une question qui n’avait cessé de tourner dans mon esprit pendant ces trois jours de repos en solitaire : pourquoi, dès la découverte du Traitement Universel, n’avait-on pas utilisé la « rampe » afin de secourir tous les malades du passé ?
Ma demande la fit sourire. Elle m’expliqua simplement qu’agir sur le passé revenait à modifier le cours naturel de l’Histoire, ce qu’avait interdit l’UNN (Union des Nations Nouvelles) avec la plus grande vigueur.
— Il appartient à votre époque d’explorer le futur, et non l’inverse. L’humanité doit affronter son destin. Il en a toujours été ainsi… ajouta-t-elle.
Ces mots à peine prononcés, je la vis s’assombrir, baissant les yeux dans un long moment de tristesse silencieuse. Elle releva soudain la tête pour me transpercer du regard.
— Monsieur Mayer, ma déontologie devrait m’interdire de vous transmettre l’information qui va suivre, mais je vous crois suffisamment équilibré pour l’entendre et l’admettre. Elle vous sera sans doute utile. Trois mois après votre retour en 2102 va se produire une mutation du virus pour lequel vous êtes venu ici vous faire soigner. Cette fois, la maladie ne fera pas quelques millions de morts…
Anjali Jones dut s’interrompre, visiblement bouleversée. Elle prit une longue inspiration avant de poursuivre, la gorge serrée :
— Elle anéantira quatre vingt quinze pour cent de la population mondiale. Le traitement que l’on vous a administré vous préservera. Vous vivrez. Votre oncle aussi. Cette catastrophe épidémique sera suivie ensuite d’une terrible période de troubles. Elle durera près d’un siècle. Après quoi, sur cette terre en ruine se reconstruira une civilisation différente. Il est affligeant d’établir ce constat, mais ces épreuves effroyables rendront le genre humain bien plus mature, responsable et solidaire. À partir de 2220 s’instaurera ce que nos historiens nomment le Nouvel Âge d’Or ; une renaissance philosophique et technologique accompagnée de grandes missions interplanétaires. La découverte du Traitement Universel en est d’ailleurs la conséquence directe.
Je restai hébété par les propos de mon interlocutrice quand un signal lumineux se mit à clignoter. Anjali Jones se leva de son fauteuil.
— Votre navette est en phase d’approche. Suivez-moi, nous allons rejoindre l’aire d’embarquement.
Parvenu sur la terrasse après une brève ascension en cabine magnétique, je ne pus retenir un cri de stupeur. Devant moi s’étendait à perte de vue une forêt tropicale inondée d’un soleil aveuglant et brûlant. Tandis que dans l’azur du ciel approchait un petit engin volant, on devinait au loin, sur une mer scintillante, la plateforme offshore de traversée temporelle. Le souffle coupé par ce qu’était devenue l’Ecosse, je ne prêtais pas même attention à la navette en train de se poser.
Mon médecin et moi demeurâmes un moment l’un près de l’autre, sans rien dire, comme de vieux amis attristés à l’idée de se séparer. Le pilote de l’appareil me fit signe de monter et juste avant que la porte ne se referme, alors que je bouclais ma ceinture, j’entendis Anjali Jones me lancer de loin,
— Monsieur Mayer, prenez soin de vous. Nos destins sont liés !
Prochaine histoire courte dans notre édition du 2 mai
Frédéric Nox vit à Nice où il se consacre à l’écriture et à la restauration d’œuvres d’art. Se définissant comme « raconteur d’histoires », il avoue l’influence du cinéma sur son travail de narration. Il poursuit actuellement deux projets : un recueil de nouvelles inédites et un premier roman court.
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