Par Nicolas Juliam
Les mains moites. Un sale goût dans la bouche. Envie de vomir. La tête qui tourne. Et plus j'y pense, plus ça tourne. Du coup, je me sens de plus en plus mal. Je voulais être le premier. Mais quand je suis arrivé dans la salle d'attente, il y avait déjà une ribambelle de malades imaginaires. Les microbes sont partout.
Ici, c'est un concentré de chacun pour soi. On se dévisage. On cherche la raison de la venue de l'autre. C'est la guerre des nerfs. On se lance quand même un sourire forcé, on n'est pas des animaux. Mais au fond, c'est ambiance Darwin puissance 10.
En face de moi, la vieille dame ne me lâche pas du regard. Le mioche tousse sur ma gauche. Il a peut-être être la grippe, la gastro ou la varicelle l'enfoiré. J'avale difficilement ma salive. Faut que je me concentre sur quelque chose. J'hésite à prendre un magazine. Tout d'abord, parce que je ne sais pas qui l'a touché avant moi. Ensuite, parce que je n'ai le choix qu'entre une revue animalière et un journal people avec la princesse de Suède en couverture. Cela dit, c'est un bon outil pour dissimuler son jeu. J'attrape une publication au hasard et je me mets à observer discrètement mes concurrents en faisant mine d’être absorbé par ma lecture.
Le mioche tousse à nouveau. Je me décale un peu. On ne lui a pas appris à mettre la main devant la bouche ? Je me racle la gorge pour montrer mon mécontentement, en accompagnant involontairement le tout d'un mouvement d'épaule sarkozien. J'ai chaud. Le dos qui gratte. À côté de moi, la mère et l'enfant lisent un Oui-Oui. Je ne sais pas qui sont les auteurs mais je pense à ce moment précis qu'il faudrait les trépaner d'urgence. La jeune maman poursuit son histoire débile de scout à grelot. Après le dos, c'est le crâne qui commence à me gratter. Le gamin. Il a sûrement des poux.
La vieille dame me fixe. Elle serre contre elle une grande enveloppe. « Je passe en première pour déposer ma radio au médecin, ça ne sera pas long. » Elle essaye de faire passer la pilule.
Clignement intensif des yeux.
Mais le plus vicieux, c'est l'autre là. Je l'ai repéré avec sa mallette et son costume ringard. Encore un représentant pharmaceutique. Une ruse pour prendre ma place. Il a peut-être des poux lui aussi. Je monte le magazine pour cacher mon regard. Ils sont peut-être tous complices. Qui sait ?
Craquement de nuque, crispation des doigts de pieds.
C'est là que je m'aperçois que mon magazine est à l'envers. Ma chauve-souris en couverture a la tête en haut. Se méfier de ces sales bêtes. Des réservoirs de maladies. C'est le moment que choisit « Mallette-man » pour fouiller dans ses affaires. S'il sort sa fiole d'Ebola ou un échantillon H5N1, je le plaque au sol et je lui fais bouffer. Je fais signe discrètement à la maman et au petit de se coucher par terre.
Clin d’œil, mouvement d'épaule, grattage de tête, craquements de doigts.
Je roule alors mon magazine pour m'en servir comme matraque, tout en essayant de tenir ma tête qui donne l'impression de vouloir rejouer une scène de l’Exorciste. L'exercice est difficile. Je tombe de ma chaise. Je regarde alors la vieille dame en écarquillant les yeux pour la rassurer. Avant de me relever, je prends soin de m'essuyer la bave au coin de la bouche. Je suis repéré.
En entrant, le médecin me reconnaît. Il a l'air ni surpris, ni ravi. C'est en voyant l'effroi sur le visage des autres qu'il décide de me faire passer avant tout le monde. Hip hip hip… Ne pas lui serrer la main. Surtout pas lui. Il doit être de mèche.
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