Par Michèle Thibaudin
Le printemps chasse la guerre et je vais bientôt quitter le couvent. Mes missions précédentes m’ont appris que la fin d’un conflit n’est pas une période facile pour les enfants.
Au couvent, ils se sentent en sécurité, ils ont pris de nouveaux repères et ont créé des liens. Ils vont devoir maintenant faire face à une autre rupture, un avenir incertain. Ainsi ceux qui, dans la panique de la guerre, ont perdu leurs parents ou en ont été séparés vont vivre dans l’attente, une attente généralement longue et douloureuse car il faut du temps pour reconstituer les familles. Ceux qui savent être orphelins, ceux qui ont vu leurs parents mourir se trouvent à nouveau face à la réalité de leur solitude. Ils seront sans doute placés dans des centres d’accueil où ils devront une nouvelle fois puiser dans leurs ressources pour construire d’autres repères.
Je pense à Zora et Ilan, où iront-ils ? Et Hora, que deviendra-t-elle ?
Par un matin de soleil, quelques jours après l’exposition, je suis heureux de les voir arriver en salle de consultation où je suis désormais le plus souvent. Ma porte est toujours ouverte et beaucoup d’enfants, sachant que mon départ est proche, viennent me dire au revoir. À leur entrée, je remarque le sourire de Hora, son regard doux et ses boucles moins emmêlées. J’ai envie de lui parler de son dessin, de lui dire l’histoire que je me raconte à propos des taches rouges sur le linge. J’aimerais savoir ce qu’elle chuchote dans l’oreille de Zora, mais je me tais.
Ilan pose devant moi le dessin d’une jolie maison colorée, avec un jardin qui ressemble à celui de Hora. Devant la porte, trois silhouettes que le petit garçon me montre du doigt, en les nommant, eux trois évidemment. « Ce sera notre maison, on ne se séparera jamais ! » dit-il en riant.
Zora pose à son tour un papier. « Hora a écrit la première et les dernières phrases, et moi le reste ! »
Avant même que je n’ajoute un mot, les trois enfants quittent la salle en courant. Je suis ému d’entendre leurs rires, des rires d’enfants redevenus légers. Pourvu que la vie ne les sépare pas !
L’écriture fine et nerveuse de Hora contraste avec le tracé ample et arrondi de l’aînée.
« Quand on ne dit plus les mots, on les écoute, on les regarde et ils livrent leurs secrets. »
« Hier j’ai pensé à « barrage », un mot tout simple en apparence ! moi je le trouve malin ; sais-tu pourquoi il a deux R ? Parce qu’un barrage doit être fort. Tout ce qui fait obstacle porte deux R : barrière, barrer, barrette, barricade. Le mot « baraque » par exemple, n’en a qu’un, parce qu’une baraque, c’est provisoire. Tu chercheras et te rendras compte que les doubles consonnes ne sont pas là par hasard. Écoute les mots « terre » et « guerre », ils sont durs et nous renvoient à la mort. Quand tu dis, je « courrai », les deux R laissent du temps pour aller vers le futur. Si tu mets du sens aux mots, écrire devient plus facile. Quand un mot commence par PH, tu peux être certain que tu entres dans la complication et tu dois brancher tous tes neurones ! Hier j’ai appris le mot « phalène », tu sais ce que c’est ? Un grand papillon nocturne ou crépusculaire. Je me suis demandé combien de fois par jour il est employé dans le monde ! C’est joli « crépusculaire » ; tu sens en le disant que c’est un moment suspendu, un point d’interrogation tranquille. J’aime bien les mots mystérieux comme « entre-deux » ou « clair-obscur ». »
« L’ennemi est clair-obscur. »
Méfie-toi des mots Zora, ils peuvent être dangereux !
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