Livres
C’est au 5e tour et avec 4 voix contre 6 à Lydie Salvayre (« Pas pleurer »), que Kamel Daoud a manqué le prix Goncourt. « Meursault contre-enquête » (1) est le premier roman de cet auteur algérien de langue française, réputé pour ses chroniques engagées dans « le Quotidien d’Oran » et qui a publié auparavant deux récits et un recueil de nouvelles. Né en 1970, il a passé sa jeunesse dans un pays en guerre. Scolarisé en langue arabe, il a appris le français « tout seul » à partir de 9 ans.
« Meursault contre-enquête » est un roman ambitieux, écrit en miroir de « l’Étranger », d’Albert Camus, paru en 1942 et dans lequel Meursault, un colon français, tue de cinq balles un Arabe sur une plage écrasée de soleil près d’Alger, sans raison particulière. Le roman de Daoud a pour personnage principal le frère de la victime, Haroun, qui, ayant vécu depuis l’enfance dans l’ombre et le souvenir de l’absent, s’efforce, soixante-dix ans après les faits, de donner un nom et une histoire à celui qui n’est que « l’Arabe » dans le récit de référence. Il s’appelle ici Moussa. Outre les clins d’œil aux textes de Camus – un écrivain qui l’a séduit parce qu’il « interroge le monde » –, Kamel Daoud joue des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l’identité. Dans une forme de récit qui, dans un hommage volontaire à « la Chute », du même Camus, enferme le lecteur dans un point de vue unique. Et puissant.
Années noires et tsunami
Six tours de scrutin ont été nécessaires aux jurés du Renaudot pour sacrer, par 5 voix contre 3, David Foenkinos (« Charlotte ») et non Jean-Marc Parisis, auteur de 7 romans, dont « la Mélancolie des fast foods » ou « Avant, pendant, après », prix Roger-Nimier. Dans « les Inoubliables » (2), Jean-Marc Parisis enquête, à partir d’un vieux cliché en noir et blanc, sur une famille de cinq enfants de 6 à 12 ans, qui, avec leur mère et après l’exécution du père le 13 avril 1944, ont été arrêtés, déportés et assassinés à Auschwitz. Originaires de Strasbourg, ils vivaient à La Bachellerie, un village de Dordogne où l’auteur passait ses vacances d’été. Pour comprendre comment l’horreur a rattrapé la fratrie dans le village de son enfance, il est retourné sur les lieux de la tragédie, il a interrogé les archives et les hommes. Le récit balance entre les années noires et aujourd’hui, entre rigueur et poésie.
Laurent Mauvignier n’a pu résister à l’impact du roman d’Antoine Volodine (« Terminus radieux »), qui a raflé les voix de 8 jurés du Médicis sur 9 dès le premier tour. Et pourtant, dans « Autour du monde » (3), c’est le tsunami de mars 2011 qui est « l’élément déclencheur » d’un récit qui déroule les destins de 14 personnages éparpillés aux quatre coins de la planète, qui vivent tous ce jour-là une situation de crise personnelle, comme un séisme intime.
Alors que les précédents romans de Laurent Mauvignier, qui ont quasiment tous reçu des prix, s’articulaient autour d’un événement qui allait changer à jamais la vie des personnages (la guerre d’Algérie dans « Des hommes » ou l’émeute du stade de Heysel dans « Dans la foule »), il montre ici comment les ondes du cataclysme trouvent un écho de Russie en Tanzanie, de Rome à Dubai, du Japon au Mexique... Chaque histoire est interrompue par la suivante dans une sorte de fondu-enchaîné et l’on ne sait plus ce qui est la conséquence de quoi. Le monde vacille, comme nos certitudes.
Yanick Lahens, qui a été couronnée par le Femina (« Bain de lune ») est née à Port-au-Prince ; Marie-Hélène Lafon, qui lui a disputé le prix (elle a obtenu 4 voix contre 6 au 2e tour) est née à Aurillac. Depuis qu’elle a commencé d’écrire, sur le tard et alors qu’elle était professeur agrégé de lettres modernes, elle poursuit sa geste des habitants du Cantal, une quinzaine de livres salués par de nombreux prix. « Joseph » (4) s’inscrit dans cette continuité, dont le héros éponyme est un ouvrier agricole au crépuscule de sa vie, qui, depuis l’âge de 16 ans, a loué son travail à des propriétaires. Il n’a pas de famille, pas de chez lui, il s’est déjà inscrit à la maison de retraite voisine. C’est ainsi, il n’a rien à dire. Joseph se contente d’observer – en ce moment les disputes entre le patron « à l’ancienne » et son fils, qui veut rentabiliser la ferme – et, le soir, de se rappeler – son frère qui est parti où l’herbe est plus verte et qui a emmené sa mère avec lui, ou Sylvie, qui l’a aimé le temps d’un été avant de le laisser complètement ravagé. Ainsi va la vie. Mais sous la plume de l’auteure, le monde paysan retrouve sa grandeur.
Dans les Balkans
Les romans de deux auteurs sur les trois en lice dans la dernière sélection pour le prix de l’Académie française étaient des premiers romans ; c’est Adrien Bosc (« Constellation ») qui l’a emporté devant Mathias Menegoz, qui, avec « Karpathia » (5), nous entraîne dans les Balkans au XIXe siècle. Âgé de 46 ans, neurobiochimiste de formation, il a abandonné la recherche pour se consacrer à l’écriture. Le récit, qui se situe dans les années 1830, lorsque le comte Alexander Korvanyi quitte l’armée pour administrer, avec son épouse, l’immense domaine de ses ancêtres en Transylvanie, plonge le lecteur dans autant de beauté que d’horreur. Beauté des forêts, des lacs et des montagnes couvertes de brume. Horreur d’un régime féodal, avec les Saxons, les paysans magyars, les Valaques asservis, qui parlent des langues différentes, gardent jalousement leurs coutumes et superstitions, pratiquent des religions différentes. Un chaudron de haines qui vont être attisées par l’obsession du comte de restaurer le rang familial quoi qu’il en coûte. Une fresque historique pleine de rage et de rancœurs dans une région méconnue.
(1) Actes Sud, 152 p., 19 euros.
(2) Flammarion, 242 p., 18 euros.
(3) Éditions de Minuit, 372 p., 19,50 euros.
(4) Buchet-Chastel, 150 p., 13 euros.
(5) P.O.L., 704 p., 23,90 euros.
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