Histoire d’une passion française

Je polémique donc je suis

Publié le 28/09/2015
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« Intellectuel », un mot qui date du choc des positions au moment de l’affaire Dreyfus. Un mot intégrant aujourd’hui une moquerie, et même l’esquisse d’une caricature. La photo incomplète de la couverture suggère une chemise blanche entrouverte et une main tenant négligemment la clope, outil indispensable du penseur.

Si toute nation se considère comme une nation d’exception, la France tient sa différence par le fait « qu’elle associe depuis toujours sa singularité à ses prouesses intellectuelles et morales », réaffirme l’auteur. Rien n’est plus emblématique pour construire le paradigme des mythes, luttes et accords que la personne de René Descartes. Descartes EST la France au travers de son « Je pense », garantie de logique et de sérieux (pour faire savant, toujours dire « le cogito »). Il affirme que son pays se définit avant tout par la pensée, là où les Anglo-Saxons se contentent de sentir. De longues pages, souvent très drôles (le cerveau de Descartes a longtemps disparu !), montrent comment le penseur poitevin a été colonisé par les chrétiens (Péguy, « ce cavalier français parti d’un si bon pas ») mais aussi par les existentialistes et même les marxistes.

Conscience collective

Mais le cartésianisme ne mène pas totalement la France, même s’il acquiert la force d’un mythe. La problématique centrale du livre de Sudhir Hazareesingh est d’observer la constitution d’un sentiment collectif et la conscience d’appartenance à la nation française. La France, combien de divisions ?

Contrairement à Fernand Braudel, pour qui ces sentiments sont apparus à l’issue d’un lent processus d’accumulation de couches successives, notre auteur relève les nombreux heurts, hiatus et conflits qui empêchent une claire conscience collective de se former. Aussi disserte-t-il longuement, par exemple, sur l’exigence d’unification par une langue commune et la multiplicité des parlers régionaux qui essaiment après la Révolution.

Les faits, le professeur d’Oxford les connaît mieux que beaucoup d’historiens français. Il est déjà l’auteur, entre autres, de « la Légende de Napoléon » (Tallandier, 2006) et du « Mythe gaullien » (Gallimard, 2010). Les idées, il est incollable sur toutes les polémiques intellectuelles de ces cinquante dernières années, s’inclinant avec gravité devant Claude Lévi-Strauss. C’est le problème d’un éventuel déclin de la pensée française qui le saisit en fin d’ouvrage. Rien à craindre, dit-il, ce pays aime tellement les idées qu’il devient facilement prisonnier de ses représentations. Il révèle, le pays aux 300 fromages, « la capacité toujours actuelle à construire des mythologies et à s’y plonger ».

Sudhir Hazareesingh, « Ce pays qui aime les idées », Flammarion, « Au fil de l’histoire », 437 p., 23,90 euros.
André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du Médecin: 9436