Par Michèle Thibaudin
C’est un jour de grand soleil et une légèreté inhabituelle règne au couvent. À l’hôpital, plus aucun enfant n’est en danger de mort et les rares nouveaux arrivants souffrent de pathologies que nous soignons aisément.
Le long couloir lugubre s’est transformé en salle d’exposition et Zora préside la fête. Chaque enfant a affiché un dessin, spectacle émouvant que l’histoire d’une guerre racontée par des gamins blessés. Chacun d’entre eux s’agrippe aux mains des adultes pour montrer son dessin. Des fusils, des hommes armés, des maisons détruites, tous disent la violence en traits hésitants et couleurs sombres. Mais aussi des paysages colorés et le soleil partout présent.
Dans le brouhaha et les rires retrouvés, Zora tente à plusieurs reprises de prendre la parole sans succès. Les religieuses interviennent et les enfants se calment. Zora remercie avec chaleur tous les adultes et annonce que les enfants ont voté pour décerner un prix au plus beau dessin. Elle déroule une grande feuille, sur laquelle je reconnais de loin le jardin de Hora.
Les enfants applaudissent et Sœur Léa s’approche en poussant devant elle la petite fille brune au regard sombre. Elle se tient droite et se tourne face aux autres. Un petit garçon lui remet une longue feuille sur laquelle chacun des enfants a écrit son prénom, elle est décorée d’une multitude de cœurs de toutes les couleurs. Hora la prend délicatement et l’observe avec attention, elle est émue. Puis son regard se tourne vers Zora et un sourire lumineux éclaire son visage.
Les enfants applaudissent encore en scandant « La muette », quand Hora se penche vers Zora et chuchote à son oreille. Le silence est total lorsque Zora dit : « Hora vous dit merci à tous. »
L’émotion est palpable chez les adultes : je surprends Sœur Léa essuyer furtivement une larme, je suis moi-même bouleversé.
Pour la première fois depuis mon arrivée, le long couloir a résonné de cris de fête. Je reste seul après que tout le monde est sorti pour une promenade en forêt ou des jeux dans la cour, m’approche du dessin de Hora et l’observe : le même jardin, les mêmes herbes folles au milieu des fleurs colorées.
Dans la soirée, je fais le point avec Louise sur cette journée qui est l’aboutissement de son travail et celui des religieuses. Le groupe de dessin est apprécié des enfants et si elles ne savent mesurer avec exactitude l’impact des ateliers sur leur psychisme, elles constatent des signes positifs : moins de cauchemars, moins de replis sur soi, moins de crises d’angoisses, qui correspondent à un changement d’atmosphère dans les dessins des enfants, moins de couleurs sombres, moins d’armes et moins de sang. Beaucoup dessinent maintenant le couvent, avec le mur d’enceinte plus élevé qu’il n’est en réalité, « besoin de protection » interprète Louise. Elle parle avec une infinie tendresse des gamins, elle admire leur capacité à créer des liens et à jouir du présent. Louise s’est attachée à eux, la séparation sera difficile.
Je lui parle de Hora, elle dit être confiante, la décrit comme une petite fille intelligente et volontaire et ajoute que son refus de parler a un sens. Louise est persuadée que le jour viendra où la petite fille décidera de sortir de son silence
Je lui parle de son beau jardin, toujours le même. « Presque le même », dit-elle d’un air malicieux en me quittant.
Je retourne dans le long couloir qui décidément n’a plus rien de morbide et me poste devant le beau dessin fleuri.
Sur le linge bercé par le vent, quelques traces de peinture rouge…
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