Signé Simone Schwarz-Bart (« Pluie et vent sur Télumée Miracle ») et André Schwarz-Bart (« le Dernier des Justes », prix Goncourt 1959), « l’Ancêtre en Solitude » (1) a une longue histoire. Ce livre est le deuxième volume (après « Un plat de porc aux bananes vertes », en 1967) d’un cycle romanesque qui devait s’écrire à quatre mains – celles du Français d’origine juive polonaise et celles de la Guadeloupéenne – et retracer, en sept volumes, l’histoire des Antilles. Un projet qui tourna court après la parution en 1972, sous la seule signature d’André Schwarz-Bart, de « la Mulâtresse Solitude » : le livre valut à l’auteur un procès en légitimité et le conduisit au silence, jusqu’à sa mort en 2006.
À 77 ans, son épouse Simone a repris tous les manuscrits, les notes et les brouillons d’alors pour continuer le cycle antillais. « L’Ancêtre en Solitude » brosse le portrait de trois femmes d’exception de la Guadeloupe depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’aux premières années du XXe : Louise, achetée bébé par la femme d’un planteur puis cédée à un pauvre blanc qui « la met en case » ; Hortensia, l’une de ses filles, après que l’esclavage a été aboli, reste prisonnière de sa condition ; enfin Mariotte, sa petite-fille, découvre l’histoire de son aïeule, la Femme Solitude. Un douloureux voyage au cœur de l’esclavage.
Dictature et génocide
« Amour, Colère et Folie » (2) est considéré comme l’œuvre maîtresse de Marie Vieux-Chauvet, romancière et dramaturge issue de la grande bourgeoisie de Port-au-Prince (elle est née en 1916), dont tous les écrits ont été dominés par la question de l’égalité et de la justice. Au début des années 1960, elle faisait figure de proue au sein de l’Haïti littéraire lorsque le régime de François Duvalier s’est durci et l’a poussée à écrire cette trilogie : une déconstruction en règle de la dictature, exposant avec froideur et violence les ficelles pourries de ce mode de totalitarisme. Craignant des représailles du despote, son mari a demandé à Gallimard de surseoir à la distribution de l’ouvrage, qu’il venait d’éditer en 1968, et il a racheté les exemplaires déjà distribués en Haïti pour les détruire. Réduite au silence, Marie Vieux-Chauvet s’est alors exilée à New-York, où elle est morte cinq ans plus tard.
Le lien entre la Guadeloupe et Haïti se fait naturellement à travers le roman de Gisèle Pineau – née à Paris de parents guadeloupéens en 1956 –, « les Voyages de Merry Sisal » (3). Après le tremblement de terre qui a ravagé Port-au-Prince en 2010, Merry est contrainte de partir en laissant ses enfants de 6 et 4 ans. Elle rejoint des compatriotes sur l’île de Bonne-Terre, une ancienne colonie française, où elle est embauchée par un couple de retraités venus de France. Pour survivre entre une population locale pétrie de préjugés envers les Haïtiens, une communauté de Blancs nantis isolée du reste de l’île, son désespoir et ses regrets, la jeune femme voyage dans ses souvenirs et ses rêveries ; avec comme seul objectif de retrouver ses enfants.
Élise Fontenaille-N’Diaye a écrit une vingtaine de romans mais « blue book » (4) est d’une autre trempe. C’est l’histoire du massacre programmé des populations du Sud-Ouest africain, un génocide oublié, et même occulté, qui s’est déroulé dans l’actuelle Namibie, colonisée par l’Allemagne de 1883 à 1916 ; le premier génocide du XXe siècle (entre 1904 et 1911, la population héréro serait passée de 80 000 à 15 000 individus). Les témoignages des survivants ont été recueillis par le juge anglais Thomas O’Reilly à partir de 1917 mais il est mort (en 1919, officiellement de la grippe espagnole) avant que le rapport soit publié… et enterré en 1926. L’auteure nous en présente les circonstances, mais il convient de lire cette tragique chronique comme une fiction historique, où les faits assurés côtoient la subjectivité.
L’Amérique de la discrimination
On connaît le nom de Rosa Parks, qui, en 1955, refusa de céder sa place à un passager blanc dans un autobus de Montgomery (Alabama) ; elle a été défendue par Martin Luther King jusqu’à ce que la Cour suprême déclare anticonstitutionnelles les lois ségrégationnistes dans les bus. Mais connaissez-vous Claudette Calvin ? Elle avait 15 ans lorsque, le 2 mars 1955, ayant refusé elle aussi de se lever, elle fut jetée en prison et décida d’attaquer la ville ; mais elle eut le tort de tomber enceinte d’un homme marié plus âgé qu’elle peu après son arrestation, perdant ainsi la possibilité de devenir un symbole de la lutte. Écrit par Tania de Montaigne, « Noire » (5) retrace l’histoire de cette héroïne méconnue, toujours vivante.
Sue Monk Kidd, l’auteure du best-seller « la Vie secrète des abeilles », s’est inspirée de la vie des sœurs Sarah et Angelina Grimké, qui se sont élevées contre l’esclavagisme alors même qu’elles venaient d’une famille possédant des esclaves, pour construire « l’Invention des ailes » (6). Le roman commence en 1803, à Charleston (Caroline du Sud), lorsque, pour ses 11 ans, Sarah reçoit comme cadeau une esclave personnelle. Rien ne se passe comme prévu. Tout en se pliant aux règles imposées par leur naissance, devenir une lady pour l’une, servir pour l’autre, les fillettes vont se lier d’amitié. À travers les années et d’innombrables obstacles, elles accompliront finalement leurs désirs d’indépendance et de liberté.
Considéré comme l’un des cinq meilleurs jeunes auteurs de moins de 35 ans après un recueil de nouvelles (« le Livre de la vie »), Stuart Nadler conforte son succès avec un roman, « Un été à Bluepoint » (7). Arthur Wise, le fils d’un émigré juif polonais devenu l’un des avocats les plus puissants et les plus riches des États-Unis, se plaît à passer les vacances avec sa famille dans sa magnifique demeure de Cape Cod, qui témoigne de sa réussite. En cet été 1952, son fils devient l’ami de l’homme de couleur chargé de l’entretien de la maison, pire, il tombe amoureux de sa nièce, déclenchant un drame qui le poursuivra toute sa vie. Au-delà du conflit entre un père dévoré d’ambition et son fils révolté, et à travers une intrigue qui s’étend jusqu’à nos jours et fait d’« Un été à Bluepoint » un roman d’apprentissage mais aussi de rédemption, l’auteur ressuscite avec bonheur l’évolution de la société et des mentalités américaines depuis l’époque de la discrimination raciale.
(2) Zulma, 499 p., 11,20 euros.
(3) Mercure de France, 264 p., 18,50 euros.
(4) Calmann-Lévy, 208 p., 17 euros.
(5) Grasset, 172 p., 14,90 euros.
(6) JC Lattès, 474 p., 22 euros.
(7) Albin Michel, 421 p., 22,90 euros.
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