Idées
« J’ai choisi la neurologie. Ce fut un bon choix » : une façon pour Boris Cyrulnik de nous mettre très vite dans le bain, celui d’un service de neurochirurgie, en 1967, à l’hôpital de la Pitié, à Paris, dans une époque qu’il décrit comme à tous égards violente.
Cette violence n’est pas seulement celle des guerres et des blessures, elle est aussi celle des secours et des guérisons : « Violence quand on mettait des attelles en bois sur des jambes cassées, quand on arrachait par surprise les amygdales des enfants en leur demandant de fermer les yeux (...), quand on préparait les femmes à l’accouchement avec douleur en leur expliquant qu’elle était nécessaire pour aimer leur enfant. »
Il est fort intéressant que l’auteur prenne au début de son ouvrage l’exemple de la lobotomie. Il illustre principalement l’enlisement de la pensée à cause d’une théorie. Ainsi disait-on autrefois « Cerveau touché, cerveau foutu », plaidoyer pour la non-intervention. Mais en 1935, le neurologue Egas Monis découvre qu’en coupant la zone préfrontale du cerveau on peut soigner certaines psychoses. Faut-il pour autant lobotomiser ? Considérée aujourd’hui comme un crime, cette pratique est bien reçue par certaines cultures. Boris Cyrulnik montre qu’elle laisse le patient dans un état d’insensibilité à la douleur et d’apathie. Pourtant, exister c’est aussi pouvoir accueillir la douleur et faire parfois du malheur une merveille.
Le côté passionnant de ce livre est en fait sa réflexion sur la psychiatrie, la manière dont une idéologie peut inconsciemment gouverner, souvent à tort, une pratique. « Comment fait-on pour soigner un schizophrène », demande à l’auteur une brillante étudiante. Elle ajoute : « J’ai donné dix gouttes d’halopériodol. Eh bien, il n’est pas guéri ! » Application d’un modèle médical implicite qui considère qu’on traite une schizophrénie comme une angine.
Le pouvoir
L’objet « psychiatrie », dit Cyrulnik, désigne à la fois « la souffrance des patients et les récits de ceux qui possèdent le pouvoir ». Les deux sont liés, dans la mesure où l’autorité canonique est celle qui ignore précisément cette souffrance.
Au XXe siècle, la psychiatrie a trouvé sa dimension sociale, historique et, osons le mot, humaine. Le mot « malade » ne peut plus s’appliquer à celui qui souffre parce que son milieu le harcèle, parce qu’il a été chassé de son pays en guerre ou parce que sa précarité sociale le traumatise dix fois par jour.
On sait que l’auteur de ce travail a dû partager cette souffrance historique. Il en a tiré, en plus du trop rebattu concept de résilience, la haine des doxas, des théories figées. « Une grande partie de ma famille a disparu dans ces lieux où l’on tuait afin d’uniformiser la pensée de ceux qui avaient le pouvoir. »
Est-il trop crédule, celui qui confesse avoir « cru que la psychiatrie, science de l’âme, pouvait expliquer la folie du nazisme » ?
Boris Cyrulnik, « les Âmes blessées », Odile Jacob, 325 p., 22,90 euros.
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