« Tartuffe », d’après Molière

Le sentiment du vrai

Publié le 03/04/2014
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Crédit photo : TH. DEPAGNE

Théâtre

Ce « Tartuffe » n’était pas prévu au programme de l’Odéon. La mort de Patrice Chéreau a conduit le directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Luc Bondy, à faire un choix. Il fallait tenter de retrouver les comédiens de « Comme il vous plaira » et travailler vite. Il a monté au printemps dernier, à Vienne, « Tartuffe » en langue allemande. Ce choix s’est imposé.

Dans le décor conçu par Richard Peduzzi, une grande pièce du rez-de-chaussée où toute la maisonnée d’Orgon se retrouve, une grande pièce élégante avec ses dégagements, quelques trophées de chasse aux murs, un crucifix, une vierge de céramique dans une niche. Une maison cossue, bourgeoise, non pas du XVIIe siècle, mais du XXe, avant les portables !

Le spectacle se joue en deux heures. Des coupes, la disparition de certaines scènes, pourraient heurter si la manière dont Luc Bondy a élaboré la distribution et dirige les comédiens n’était pas saisissante. Paradoxalement, on éprouve un sentiment extraordinaire de vérité et tout ici sonne juste. C’est pourquoi, malgré les transformations de la structure, on doit souligner la fidélité de ce travail : la manière dont les vers sont respectés, dits avec un naturel profond, la manière dont les relations entre les personnages sont montrées est très intéressante.

C’est une famille que nous montre Luc Bondy. Une famille perturbée par l’irruption d’un homme jeune, Tartuffe (Micha Lescot), qui veut tout régenter et surtout qui n’a qu’un projet : spolier Orgon (Gilles Cohen) de tous ses biens, sa maison et même sa fille Mariane (Victoire Du Bois), tout en se jetant sur sa femme Elmire (Clotilde Hesme) et en combattant sauvagement tous ceux qui se méfient de lui, à commencer par le fils, Damis (Pierre Yvon), ou son beau-frère Cléante (Laurent Grévill), ou encore la servante Dorine (Lorella Cravotta), l’un des plus beaux personnages de Molière. La grand-mère de la maison, Madame Pernelle (Françoise Fabian), d’abord séduite, comprendra un peu tard. Citons encore Valère (Yannick Landrein), le fiancé de Mariane, Monsieur Loyal (Fred Ulysse) et l’Exempt (Jean-Marie Frin).

Le Tartuffe de Micha Lescot, avec sa chemise blanche et sa cravate sous un pull en V, a quelque chose d’Antony Perkins dans « Psychose ». Et il a des moments d’une violence pathologique très angoissante. C’est un prédateur. Face à lui, le couple Gilles Cohen-Clotilde Hesme existe fortement. Ces deux interprètes sont remarquables et la jeune classe ne démérite pas. Les scènes du père avec les enfants sont bouleversantes et Victoire Du Bois comme Pierre Yvon sont très fins, tandis que Françoise Fabian s’amuse à jouer la grand-mère confite en dévotion dans sa chaise roulante et que Lorella Cravotta défend avec intelligence Dorine.

Ce travail sera certainement discuté et notamment la disparition de la conclusion de la pièce. Mais, tel quel, ce spectacle, mis en scène et interprété magistralement, est cohérent et puissant.

Ateliers Berthier de l’Odéon (tél. 01.44.85.40.40, www.theatre-odeon.eu), à 20 heures du mardi au samedi, le dimanche à 15 heures. Durée : 2 heures. Jusqu’au 1er juin.

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9315