Idées
Médicaliser la vie, explique Michel Benasayag, c’est appréhender la souffrance en termes de pathologie, subsumer notre difficulté à vivre sous les modèles consistants et complets. Du coup, nous sommes « réputés souffrir non seulement du mal qui nous ronge, mais encore de l’inadmissibilité de ce mal comme un élément de notre vie ». Une idée que l’auteur reprend sans cesse, avec chaque fois une terminologie un peu différente. « Si vous êtes obèse ou anorexique, cardiaque ou diabétique, ou que vous souffrez d’une maladie psychique, cela regarde les techniciens de la santé et vous n’avez qu’à être "un bénéficiaire de soins" passif et obéissant. » Autre manière de le résumer : « La souffrance existentielle est aujourd’hui colonisée par la souffrance pathologique. » À cette aune, on ôte au sujet sa propre subjectivité, en lui arrachant sa culture et sa souffrance. Ainsi, on aurait pu faire d’Antonin Artaud un parfait petit guichetier.
Ce qui est en cause ici, c’est le refus de voir et d’accepter que la vie est fragilité, précarité, souffrance et mort. Le credo post-moderne veut abraser tout ceci au travers d’un mélange confus de robotique, cellules souches et homme augmenté. L’auteur en donne un excellent exemple, le traitement du deuil. Dans la dernière version du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de la Société américaine de psychiatrie, il est dit qu’un « deuil qui dure plus de six jours commence à être pathologique ».
La psychanalyse ne recueille pas plus d’assentiment que la médecine post-moderne et les critiques pleuvent, nous n’avons retenu que les plus intéressantes. Pour le spinoziste qu’est Michel Benasayag, la psychanalyse ne développe pas notre puissance d’agir, créatrice de joie ; au contraire, elle entretient l’impuissance, nous enfonce dans la réitération du passé et nous soumet à ce personnage magique et manipulateur qu’est le thérapeute. Plus curieusement, l’auteur estime que cette discipline a trahi l’idéal freudien énoncé dans « l’Avenir d’une illusion » (1927), selon lequel un destin commun d’émancipation et de progrès de la raison nous libérerait. Aussi voit-on que le malade déconnecte son récit de son époque. On rétorquera que ce n’est peut-être pas très grave si notre époque est aussi pathogène que le dit Miguel Benasayag.
Tout en critiquant la création d’un homme modulaire, pur agrégat d’organes et de symptômes, tout en regrettant qu’on ait perdu « l’unité qui fait la vie », Benasayag installe le négatif, donc une faille permanente, au cœur de l’Être. Ce négatif est à la fois l’angoisse interne et la barbarie venue de l’extérieur, inhumaine, qu’il rencontra jadis en Argentine.
Contre l’enfermement
Jacques Hochmann retrace quant à lui admirablement, dans « les Antipsychiatries », l’histoire des enjeux, pratiques et luttes théoriques qui légitiment le grand partage entre la Folie et la Raison, ainsi que l’enfermement et l’aliénisation de ceux qui deviendront des fous et plus tard des malades mentaux.
La matrice la plus saisissante en est incontestablement l’ouvrage de Michel Foucault « l’Histoire de la folie à l’âge classique » , paru en 1961. Destituant la psychiatrie de toute prétention à soigner et à guérir, il la range dans la catégorie générale du « surveiller et punir ». Une thèse jugée par beaucoup historiquement contestable. Défile alors toute la contestation des Sixties, Thomas Szasz aux États-Unis, Basaglia en Italie, Laing et Cooper en Grande-Bretagne et Maud Mannoni en France. Un champ où tout se renverse de façon dialectique. Viendra la réaction à la réaction, avec l’anti-antipsychiatrie.
– Michel Benasayag (avec la collaboration d’Angélique Del Rey), « Clinique du mal-être », La Découverte, 160 p., 16 euros.
– Jacques Hochmann, « Les Antipsychiatries - Une histoire », Odile Jacob, 236 p.,23,90 euros.
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