Bartók et Poulenc à l’Opéra de Paris

L’exercice du doublé

Publié le 07/12/2015
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" Le Château de Barbe-Bleue »

" Le Château de Barbe-Bleue »
Crédit photo : B. UHLIG/OPÉRA DE PARIS

On peut se demander ce que font Bartók et Poulenc sur la même affiche. Mais l’exercice du double programme est tout sauf une science exacte. Les anciens peuvent témoigner que, sur cette même scène du Palais Garnier, on n’hésitait pas dans les années 1960 à accoupler « Giselle », ballet jugé trop court, avec « le Sacre du Printemps », ou le deuxième acte de « Tosca » avec la Marche hongroise de « la Damnation de Faust »… Une fois épuisés les doublés classiques, comme « Paillasse »/« Cavalleria Rusticana » ou « l’Heure espagnole »/« l’Enfant et les Sortilèges », tout reste possible. Pour le retour à Paris du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, trublion emblématique de la période directoriale de Gérard Mortier, c’est en tirant un peu par les cheveux qu’il a été décidé qu’un lien très fort unirait deux univers aussi éloignés que le symbolisme postromantique de Bartók et Balázs et le parisianisme mondain de Poulenc et Cocteau. Et cela a donné naissance à un spectacle coup-de-poing d’une force indéniable.

Mais rendons d’abord hommage à l’exceptionnelle qualité musicale de la soirée, devant laquelle doit s’effacer la réussite de la mise en scène, qui est réelle mais tient plus au spectaculaire. Le retour à l’Opéra de Paris d’Esa-Pekka Salonen, après dix ans d’absence, est tout de même un événement plus important que celui de Warlikowski… Sonorités, transparences, équilibres, dramatisme : ce qu’a tiré le chef finlandais de l’œuvre de Bartók est prodigieux. La partition de Poulenc, avec ses qualités théâtrales, fait en regard « petit format » et supporte mal la comparaison. Salonen en a donné une lecture aussi passionnante que possible, qui donne envie de l’entendre diriger « Dialogues de Carmélites », autrement plus symphonique.

Les deux interprètes du « Château de Barbe-Bleue », John Relyea et Ekaterina Gubanova ont chanté avec des voix somptueuses et beaucoup d’intensité leurs parties, souvent entendues d’une façon plus neutre quand l’œuvre est donnée en concert. Dans « la Voix humaine », Barbara Hannigan n’a pas le français impeccable entendu récemment avec Anna Caterina Antonacci, mais l’intensité était là pour compenser et donner à sa prestation un caractère hautement dramatique.

Comme un film

Pour le spectacle, Warlikowski a joué au sorcier avec une grande habileté, servi par un décor de Malgorzata Szczeésniak, d’une réelle beauté et efficacité dans « Barbe-Bleue », avec ses vitrines coulissantes figurant les portes et leur contenu et, par là même, les niveaux du conscient et de l’inconscient du héros, pour lier les deux œuvres. Une liaison réalisée de mille façons : absence de rupture entre les deux parties ; références assimilant les deux personnages féminins ; prologues ajoutés ; personnage masculin de « la Voix » ressemblant à Barbe-Bleue ; dans les deux œuvres, tours de magie, références visuelles à « la Belle et la Bête » de Cocteau… Le fantôme du Dr Freud planait sur le Palais Garnier. Mais il faut bien admettre que le sorcier a réussi un spectacle très réussi, à la réserve de l’absence de rupture entre les deux œuvres, et qui se regarde comme un film violent et captivant. Et encore plus fort, s’agissant de l’Opéra de Paris, qui a réussi à ne récolter aucun sifflet au rideau final !

Opéra de Paris - Palais Garnier, jusqu’au 12 décembre. Prochain spectacle : « La Damnation de Faust » de Berlioz, du 5 au 29 décembre. Tél. 0892.89.90.90, www.operadeparis.fr.
Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du Médecin: 9456