Idées
Le sommeil irrite profondément la pensée rationnelle dès le début de la Renaissance. La philosophie classique l’opposera à la conscience et à la volonté. On se demandera si cette alternance nycthémérale est bien naturelle : ce rythme n’est-il pas imposé au bébé dès le début de la vie par la dualité travail-repos ?
Bien sûr, le sommeil semble avant tout inutile, il est une « activité passive » et il occasionne des pertes incalculables par rapport aux exigences d’un univers 24/7, il est autant de perdu pour le temps volé que le capitalisme nous arrache. Comme le résume très bien Jonathan Crary, « passer une immense partie de notre vie endormis, dégagés du bourbier des besoins factices, demeure l’un des plus grands affronts que les êtres humains puissent faire à la voracité du capitalisme contemporain ».
Il n’est pas innocent que la privation de sommeil figure en bonne place dans les tortures, y compris, en version soft, les privations sensorielles utilisées par les Américains à Guantanamo. C’est aux États-Unis, également, et dans une perspective presque comique, que des essais ont été faits pour plonger les villes dans la lumière au moyen de miroirs réfléchissants géants, afin qu’« il fasse jour toute la nuit ».
La frénésie connectée
« 24/7 » suppose un bouleversement de notre vision du monde, de l’homme et de son existence, une existence qui s’aligne sur celle des choses, inertes, intemporelles. C’est à ce point que se situaient les refrains des années 1960 sur l’homme accumulant des objets inutiles, pris dans les rets du marketing et de la pub. Mais aux analyses de Bernard Stiegler, souvent simplistes et rigides, le penseur américain oppose les produits médiatiques actuels, « ressources pouvant être gérées, manipulées, échangées, commentées, archivées ». Le 24/7 nous voue paradoxalement à la fois à une disponibilité consumériste et à un temps cotonneux et homogène.
Il s’agit moins de manipuler un pauvre cerveau rendu disponible au message Coca-Cola cher à Patrick Le Lay que d’être au centre d’une « immense masse d’informations accessibles pouvant être mise au service de n’importe quelles fins aberrantes ou conventionnelles ».
Ce que montre ce livre, c’est que cette « frénésie connectée » est déjà installée un peu partout, et n’est donc pas une utopie. Le sommeil a déjà un peu perdu la partie. À preuve, dit l’auteur, regardez le nombre de gens qui se réveillent au milieu de la nuit pour consulter leurs e-mails.
Jonathan Crary, « 24/7 - Le capitalisme à l’assaut du sommeil », Zones (La Découverte), 140 p., 15 euros.
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