C’est d’une façon très originale que Guery saisit l’émergence du nihilisme dans le roman russe, en analysant le personnage de Bazarov dans « Père et Fils » de Tourgueniev, ou celui de Verkhovenski dans « les Possédés » de Dostoïevski, affirmant que ce sont des « prototypes » dont découleront le vrai Netchaiev et l’assassinat d’Alexandre II en 1881. « Qu’un héros de roman puisse être l’original dont dérivent des individus de chair et d’os, qui cela surprendrait-il depuis le Werther de Goethe qui a fait se suicider par mimétisme des générations de jeunes gens ? »
Ce nihilisme rageur du roman russe symbolise souvent la révolte des fils contre la tradition des pères, mais il trouve son acmé, toujours dans le roman, avec l’assassinat de l’usurière par Raskolnikov dans « Crime et Châtiment ». Cette violence, de type acte gratuit faisant fi de toute valeur, fait de Nietzsche, selon Camus, une bonne « caisse de résonance de la Russie ». Mais le philosophe allemand, lui-même inquiet quant au surcroît d’injection de « nihiline », nous égare un peu. Tantôt, en effet, le nihilisme est chez lui une molle passivité, proche de ce que sera l’ado de la Bof-Génération. Tantôt il célèbre, comme dans « Généalogie de la Morale », « la superbe brute blonde rodant en quête de carnage », un type de propos très fécond pour alimenter l’illusion rétrospective que l’on devine. Le nihilisme nietzschéen repose avant tout sur le fait qu’« il n’y a rien à voir derrière le rideau ». De fait, si « Dieu est mort », c’est tout le christianisme et sa transcendance qui sont tombés avec lui.
À ce sujet, François Guery note que « s’il est vrai que le nihilisme est inconditionnel, sans limites, il se retourne sur celui ou ceux qu’il affecte, et alors une reprise de soi est fatale », souvent sous la forme de la folie ou du suicide. De fait, il y a dans cette vision du monde un choix pas nécessairement conscient de la pulsion de la mort. L’attentat kamikaze en représenterait de ce point de vue l’« idéal-type » cher à Max Weber. Par où il ne peut affirmer la valeur inconditionnelle de sa cause qu’en supprimant à la fois ses ennemis et ses adorateurs.
« Le nihilisme, écrit François Guery, repose sur une fausse conscience par où il est aveugle, où il se ment. » Ce ne serait pas trop gênant s’il ne faisait pas aussi bon marché du monde et des humains qui le peuplent.
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