La première partie de cette « fantaisie gay sur des thèmes nationaux », comme l’écrivain sous-titrait sa pièce, créée au festival d’Avignon 1994, avait été un événement. La mise en scène très réussie de Brigitte Jaques serait étoffée rapidement de la deuxième partie. Après « le Millénaire approche », c’était « Perestroïka ». À Aubervilliers, on s’embarquait pour sept heures. Depuis, la pièce a souvent été reprise. Au Français, c’est l’entrée au répertoire, dans une traduction de Pierre Laville et une version scénique très resserrée et approuvée par l’auteur, signée Arnaud Desplechin.
Comme le souhaitait l’écrivain, huit comédiens incarnent tous les personnages. Certains n’ont qu’une partition, plus un ange. Un décor léger inscrit dans d’immenses rideaux noirs, des projections, quelques éléments déplacés par les interprètes eux-mêmes. Kushner a traduit Corneille et pris comme maîtres Brecht et Shakespeare. Sa pièce, forte, puise dans une matière politique et sociale vaste et use de formes très différentes, de la comédie de boulevard aux tragédies, du feuilleton aux grandes apparitions baroques. Quand on passe de 7 heures à 2 h 30, on perd forcément de la matière.
Desplechin s’intéresse aux amours des protagonistes et enchaîne les scènes, souvent à deux, très rapidement, jusqu’aux fondus enchaînés et scènes doubles. Cela donne un spectacle vif, remarquablement incarné. Certaines partitions sont plus spectaculaires. Jennifer Decker, jeune femme paumée, bourrée de médicaments, mormone, mal mariée à un homme qui découvre son homosexualité (Christophe Montenez, excellent), est étonnante. Harper a pour confident un personnage imaginaire, Mister Trip, Gaël Kamilindi, qui est aussi un bouleversant Bélize. Dominique Blanc est exceptionnelle en une cascade de changements que l’on vous laisse découvrir. Florence Viala est l’Ange d’Amérique, qui annonce le départ de dieu, fait de Prior, celui qui va mourir du sida, un prophète… Clément Hervieu-Léger est ce garçon, abandonné par son compagnon Louis, Jérémy Lopez. Ils sont parfaits, sensibles et précis.
Mais le grand personnage, le scélérat qui manipule, homosexuel honteux qui lui aussi va être balayé par le sida, est une figure qui vient de la réalité de la société américaine. Suppôt de McCarthy, avocat sans scrupule, conseil de Trump promoteur comme d’Andy Warhol, manipulateur égoïste, Roy Cohn a ici la profondeur et la puissance de Michel Vuillermoz. Il concentre en lui toute la charge corrosive et éclatante de l’œuvre
Le temps a passé. Le sida est toujours là. Les thérapies ont progressé. Le tragique s’est légèrement déplacé. La pièce demeure une très grande œuvre du XXe siècle.
Jusqu’au 27 mars. Durée 3 heures. Tél. 01.44.58.15.15, www.comédie-francaise.fr
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