CERTAINS diront qu’il ne s’agit pas de théâtre, qu’il n’y a pas de mise en scène. Renvoyons-les à la forme du roman de l’Américain Russell Banks « De beaux lendemains ». Dans ce livre, quatre voix se succèdent qui disent l’affreuse réalité d’après la catastrophe. Un bus scolaire a dérapé, est tombé dans une sablière gelée, des enfants sont morts. Parlent la conductrice, le père de jumeaux tués dans l’accident, l’avocat intéressé par l’affaire, une jeune survivante qui ne pourra plus jamais marcher.
Sans doute vous souvenez-vous du film du Canadien Atom Egoyan, grand prix à Cannes en 1997. Russell Banks lui-même y jouait ainsi que l’une de ses quatre filles. Évidemment, le cinéma permet une transposition plus ample. Emmanuel Meirieu, lui, a choisi d’être fidèle à la structure même du roman. Il a conservé les quatre voix, simplement il a allégé les partitions. Il a introduit de la musique et du chant : au piano, Raphaël Chambouvet, qui a composé la partition, accompagne, à l’arrière-scène, la représentation. À un moment, très puissant moment, surgit un guitariste qui chante en anglais, très bien, une très belle chanson. Il s’agit de Stéphane Balmino, qui représente le personnage de Kyle Lamston. À un autre moment, éblouissant et déchirant, c’est Nicole, la survivante, qu’interprète magnifiquement Judith Chemla, qui chante. On atteint un moment sublime.
Évidemment, on dira que c’est de l’émotion facile. Mais non. Il y a dans ce spectacle une rigueur, une sévérité, une retenue. Les lumières de Seymour Laval, qui signe également la scénographie (un sol gelé), les micros qui instaurent une distance, comme si tous ces gens étaient des fantômes, dans une nuit de brouillard et de givre, tout donne une densité dramatique à la représentation.
Catherine Hiegel, Dolorès Driscoll, la conductrice du bus, saisit le public. La première apparition est âpre, terrible ; elle revient à la fin, dans l’apaisement et le chagrin profond, auprès de Nicole Burnell. Carlo Brandt est prodigieux. Il est Billy Ansel, vétéran du Vietnam, un père contradictoire, blessé mais combattant, sachant ses faiblesses. Quel grand interprète ! Redjep Mitrovitsa est Mitchell Stephens, l’avocat au barreau de New York, bien intéressé par l’affaire. Retenue, sobriété, l’interprète impressionne. Quant à Judith Chemla, seule à avoir participé à la création, l’an dernier, et qui était déjà bouleversante, elle propose, en un long moment tout en nuances contradictoires, colère retenue, désespoir, vitalité, intelligence, une incarnation fascinante de cette adolescente aux jambes mortes.
Il y a là tous les thèmes qui obsèdent l’écrivain américain l’impossible paternité, la cruauté des adultes vis-à-vis des enfants, jusqu’à l’abus sexuel… Présent le soir de la générale, soulignant que c’était la première fois au monde qu’un de ses textes était adapté au théâtre, Russell Banks a loué la force de cette transposition, l’intelligence d’Emmanuel Meirieu et la fascinante et bouleversante interprétation des comédiens.
Théâtre des Bouffes-du-Nord (tél. 01.46.07.34.50, www.bouffesdunord.com), du mardi au samedi à 21 heures, matinée le samedi à 15 h 30 et dimanche 26 juin (dernière). Durée : 1 h 45. Le texte de Russell Banks est publié, comme toute son œuvre, aux éditions Actes Sud.
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