Comte-Sponville, vie et réflexion

Un penseur chic et classique

Publié le 30/11/2015
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La photo de la couverture de « C’est chose tendre que la vie » retient l’attention. On y voit un monsieur distingué, aux fines lunettes, dont aucun cheveu ne bataille, la chemise discrètement échancrée, le regard vers nous comme s’il était attentif à notre être. Chic et classique à la fois.

Malgré un nom qui sonne aussi très chic, aristo sans particule en somme, l’origine, précise-t-il au début, est très populaire. Des parents commerçants (« marchands de balais », disait son père), qui n’avaient pas passé le bac. Mais André va vite se sculpter lui-même. « La lecture fut la grande affaire de ma vie, durant l’essentiel de mon enfance et mon adolescence. » C’est en cherchant à se découvrir lui-même, qu’après un passage par le roman de cape et d’épée, il découvre la philosophie. En grande partie grâce à Sartre, dont il aime autant « l’Être et le Néant » que « la Nausée ».

Il est assez amusant de suivre les goûts et les dégoûts d’André Comte-Sponville, au fil des modes intellectuelles et des événements sociaux. Au début des années 1970, il apprécie Claude Lévi-Strauss, qu’il rencontre, Lévinas, dont il note « la sagesse désillusionnée ». Mais il peine et freine sur Barthes, Lacan, Derrida et le Deleuze d’après « l’Anti-Œdipe ». On le comprend, l’hermétisme jargonneux n’est pas vraiment son truc. « Lacan me parut à la fois pontifiant et grotesque. » Reste Michel Foucault, dont il ne peut finir « les Mots et les Choses » et auquel il envoie son livre « le Mythe d’Icare ». Foucault lui répondra avec un mot court mais chaleureux.

Montaigne et Pascal

Que reste-t-il dans le paysage de la pensée qui puisse avoir son assentiment ? Montaigne, auquel est emprunté le titre de l’ouvrage, Descartes et Pascal. Ils parlent à la première personne, ils sont à la fois humbles et vrais, ils racontent tous les trois « l’aventure singulière d’un individu, en quête de vérité, de salut ou de sagesse ». Déjà la photo le disait, André Comte-Sponville est à tous égards « classique ».

Classique est aussi son goût de la Raison. Vous froncez les sourcils ? Mais « que mettriez-vous à la place du rationalisme ? Vous préférez l’obscurantisme, le fanatisme, l’ignorance, la bêtise ? » Non, bien sûr, même si son adhésion à certaines pratiques d’Extrême-Orient semble un peu trop « mode ». « Plutôt Svâmi Prajnânpad que les maîtres spirituels européens », dit-il. Soit, mais là on cesse de le suivre.

Au fil de ces pages on rencontrera beaucoup de petites colères. Sur la sélection qu’opèrent les grandes écoles (lui-même est ancien Normalien), qui lui semble devoir plus au social qu’au travail, la vanité de l’« art contemporain », classique des critiques par excellence, ou le rejet du relativisme.

Mais comme si tombait parfois le masque un peu trop serein d’un matérialiste à l’aise avec lui-même, il avoue son trouble devant la phrase de Nietzsche « Sans la musique, la vie serait une erreur » : « J’y reconnais quelque chose de ma faiblesse, de ma tristesse bien souvent. » Moins chic, moins classique, c’est peut-être dans ces instants qu’on aime encore plus André Comte-Sponville.

Albin Michel, 544 p., 24 euros.
André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du Médecin: 9454