Idées
La présentation sous forme d’abécédaire de ces 26 questions plaira aux paresseux, dont nous sommes, car on peut voler directement vers ce qui nous intrigue. Cela dit, c’est bien de commencer dans l’ordre avec « Avatar ». Ce terme, qui désigne l’identité que prend un joueur dans un jeu vidéo, implique la recherche d’un « second soi » et est embrayé sur notre monde.
La technologie nous donne l’occasion d’animer de nombreux avatars. Notre identité est fragilisée, fluidifiée, rendue « liquide ». L’individu Fregoli d’aujourd’hui a tous les rôles à la fois et Narcisse lui-même en est affecté.
Le Narcisse de la mythologie meurt consumé par l’amour qu’il se porte, absorbé dans sa seule image. Inversement, celui d’aujourd’hui veut qu’on l’admire et qu’on l’aime, incertain quant à son identité. Sa personnalité fragile s’exhibe et se multiplie sur le mur de Facebook comme celle de l’héroïne brisée à l’infini dans les miroirs chinois de « la Dame de Shanghai ». Mais Yves Michaud y voit bizarrement la synthèse de Loana et de Séguéla !
C’est avec pas mal d’humour qu’il nous est expliqué que les formes a priori de la sensibilité du vieux Kant sont aujourd’hui remplacées par la com, qui est ce sans quoi rien ne peut être porté à notre conscience, et sa frénésie d’images. Images qui, qu’il s’agisse de DSK menotté ou de Kate Moss en jouvencelle éternelle, nous sont données grâce à un récit calculé, le storytelling.
Mais là encore on retrouve la problématique narcissique et ses impasses. L’image est surtout celle qu’on exhibe de soi sur YouTube, obscène ou violente, extraits de n’importe quoi, le degré zéro de la vidéo en fait, et l’apparition d’une génération de m’as-tu-vu.
Nulle amertume chez Michaud. Il ne surplombe pas notre époque en feignant de ne pas en faire partie. Mais dans l’article « Urgence », il constate que le présent est bouché. Même s’il n’y a rien de vraiment urgent, au sens vital, le temps nous pousse en avant, nous essore, secoué par l’info en temps réel, le zapping incessant où Narcisse se noie à nouveau.
Yves Michaud, « Narcisse et ses avatars », Grasset, 200 p., 17 euros.
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