Le dernier livre de Patrick Autréaux

Une éducation sentimentale aux urgences

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Publié le 14/10/2019
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« Les études de médecine en général ne sont guère que des initiations de pacotille », avoue Patrick Autréaux, déplorant « une pensée pauvre en symboles et peu perméable à l’imaginaire qu’elles restreignent ». Mais « Quand la parole attend la nuit », son dernier roman, très autobiographique, comme ses prédécesseurs, prouve magistralement le contraire.

Solal, le narrateur, intègre l’internat et enfile les gardes de psychiatrie à Paris, découvrant la faune des soirs agités et le calme des petits matins vides, il rédige ses comptes rendus d’hospitalisation, passe des coups de fil aux médecins traitants, discute avec des collègues. Chemin faisant, arpentant les couloirs interminables du CHU, Patrick Autréaux éclaire « le versant intime que peuvent être des études de médecine et surtout la pratique des urgences, quand les frontières sont bousculées et que l’on prend conscience de ce que signifie être humain. »

Cette prise de conscience, après celles de Sainte-Beuve, Balzac et Flaubert, nous donne une éducation sentimentale en fac de médecine, dans cet entre-temps qui sépare la chute

Bien sûr, il n’y a pas que l’internat à l’internat, il y a la vie intime du narrateur : les morceaux de vie sentimentale de Solal livrent une initiation amoureuse, entre des séquences d’érotisme insatiable racontées à la pointe du scalpel et des abîmes de déréliction. Le lecteur retrouvera des expériences et des figures évoquées tout au long de l’œuvre d’Autréaux : un couple de parents qui se déchirent, l’homosexualité, un vieil ami accompagné dans son agonie, la maladie, la psychiatrie, le rôle du médecin.

Chambre de garde

Au fil des pages, l’apprentissage médico-sentimental vire à l’aventure spirituelle, à la recherche du presque imperceptible, du mystère du dévoilement de l’être, à « l’écoute de ce qui dégorge du silence », pour citer l’une de ces tremblantes formules qui font de ce roman un poème, avec d’ailleurs plusieurs poésies enchâssées dans les chapitres.

Le lecteur entre dans la chambre de garde de Solal, un décor somme toute peu enclin au lyrisme : « Un lit, une table de chevet, une armoire avec deux cintres tordus, une paroi translucide séparant la pièce en deux espaces, un lavabo et une cabine de douche. Une large fenêtre donnant sur une touffe de bouleaux, des stores mécaniques. Les murs sont d’un bleu délavé. L’odeur est celle des produits d’entretien bon marché. »

Mais le médecin-poète a l’œil : « Au-dessus de l’armoire est épinglé un poster. Souvenir d’un congrès qui s’est tenu à Paris quelques années auparavant. Un labyrinthe fait de tripes neuronales au milieu desquelles s’élève une tour de Babel en forme de cerveau. » Et comme à chaque Autréaux, le lecteur sort du livre face à soi-même, dans le vertige de son propre mystère.

Verdier, 176 p., 15 €

Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du médecin